L’argent dans la campagne présidentielle

A sept mois des élections aux États-Unis, nous publierons désormais chaque semaine la chronique de Dick Howard, professeur de philosophie politique à la Stony Brook University dans l’Etat de New-York.

Les primaires républicaines, qui ont duré plus longtemps que prévu, sont enfin terminées… La candidature de Mitt Romney sera consacrée lors de la Convention du parti républicain à Tampa, au mois d’août prochain. La véritable bataille pour la Maison-Blanche a commencé.
Les primaires ont été âpres, le vainqueur n’en sort pas indemne. La vingtaine de débats lui a donné plus d’une occasion de faire des gaffes alors que ses concurrents lui ont fait des reproches qui seront repris par Barack Obama : capitaliste vautour, girouette, faux conservateur et homme sans principes, etc.
 L’aspect inattendu des primaires a été le rôle des Super-Pacs, ces comités soi-disant indépendants dont le financement n’est soumis à aucune limite. L’arrêté de la Cour suprême traitant la dépense en faveur d’un candidat comme relevant de l’exercice de la liberté de la parole a permis à des millionnaires et à des milliardaires d’exercer une influence sur les décisions démocratiques. Et cela va continuer lors de l’élection générale ! 

Les Super-Pacs pour financer les campagnes

Obama aussi pourra profiter de ces financements, Romney n’est pas le seul. L’argent règne dans la république américaine. Je m’en suis rendu compte lorsque j’ai envoyé ma feuille d’impôts quelques jours avant la date fatidique du 15 avril. Chaque contribuable peut cocher une case pour signifier que trois dollars de ses impôts serviront à financer les campagnes des deux présidentiables… à un taux égal. Or, en 2008 déjà, Barack Obama avait refusé ce financement, sachant qu’il récolterait beaucoup plus de contributions sur ce qu’on pourrait appeler le « marché libre » de la politique. Cette année, les deux candidats feront confiance à ce « marché » - et ce sera l’argent roi qui aura la parole dans les deux camps !
Les impôts sont un autre enjeu important de cette élection... Les Républicains veulent les réduire, les Démocrates ne peuvent pas se permettre de dire qu’ils veulent les augmenter… 

Les impôts au cœur du débat

Selon la rhétorique républicaine, les taxes, de quelque genre que ce soit, et pour quelque but que l’on poursuive, sont nocives pour le marché libre. Il faut les abaisser sinon les éliminer. Qui plus est, les taxes financent le gouvernement, ce Léviathan dont les actions limitent la liberté des individus au lieu d’inciter la création de travail. Mais au delà de ces articles de foi, les Républicains proposent des arguments apparemment empiriques. Du fait qu’environ 47% de la population ne paient pas d’impôts sur le revenu, ils concluent que les riches et les classes moyennes sont surtaxés. Donc, pour créer des emplois, il faut baisser les impôts.

La réponse des Démocrates est d’abord que ceux qui ne paient pas d’impôts sur le revenu aimeraient bien gagner assez d’argent pour y être soumis. Ensuite, ils distinguent entre impôts sur le revenu, et taxes que nous payons tous : par exemple, des taxes sur les achats locaux, des taxes pour la sécurité sociale, et les multiples taxes prélevées par les villes, les Etats, et jusqu’à la taxe fédérale sur l’essence. Et ces taxes, ajoutent-ils, sont régressives : tout le monde y est soumis, alors que les impôts sur le revenu sont progressifs, on paie selon le niveau de ses revenus. 

Réduire la dette

Cependant le Congrès est rentré de ses vacances de Pâques et il semble que les Républicains à la Chambre reconnaissent enfin le besoin de combler le déficit du budget et de s’attaquer à la dette. Les propositions de Paul Ryan, qui ont l’approbation de Mitt Romney, promettent avant tout des réductions d’impôts. Pour payer ces réductions, le représentant du Wisconsin propose d’abord l’élimination de « niches » fiscales, ensuite la réduction des dépenses « non-mandatées ». La difficulté, c’est que dans les deux cas, le Plan Ryan ne spécifie ni les niches ni les dépenses. Et comme l’on sait, le diable gît dans les détails — et les détails en politique reflètent des intérêts qui ne vont pas disparaître devant la bonne volonté du parti républicain ! Faut-il couper des dépenses du Pentagone, ou réduire l’assistance aux chômeurs, par exemple ?
Au Sénat, où les Démocrates sont majoritaires, Harry Reid ne soumettra pas le plan Ryan à ses membres, sachant qu’il n’y aurait pas de majorité possible. Pour des raisons tactiques, il ne veut pas contraindre ses membres à s’opposer à une réduction d’impôts ! Mais, aussi pour des raisons tactiques, il leur propose de faire voter la « règle Buffett », cette mesure qui assurerait que les riches paient des impôts à un taux d’au moins 30% (alors que Mitt Romney n’en paie que 15%... et Barack Obama 20,5%). Harry Reid se laisse guider par des impératifs tactiques, car il sait que malgré les 72% d’opinions favorables à cette règle, elle ne passera pas à cause de l’obstruction des Républicains, mais il s’agit d’embarrasser ces derniers, coupables de soutenir les riches contre le reste de la société. 

Au-delà de ces positions rhétoriques, la réalité socio-économique du pays ne va pas tarder à se manifester. La date fatidique n’est pas le 6 novembre mais le 1er janvier. C’est d’abord la date d’expiration des réductions d’impôts votées sous George W. Bush et prolongées temporairement pour faire face à la crise. Il s’agit de deux mille milliards de dollars. À cela s’ajoute l’expiration des réductions de paiements à la sécurité sociale de 2%, encore pour faire face à la crise (mille milliards). Enfin, il y aura encore mille milliards à trouver suite à l’accord sur l’augmentation de la dette nationale négocié pendant l’été 2011. Ainsi, il y aura un trou de quatre mille milliards de dollars si le Congrès ne prend pas des dispositions d’ici à la fin de l’année. Mais pour le moment, la rhétorique politique s’impose, la réalité socio-économique est remise aux calendes grecques.