L’été des Super-Pacs

A moins de quatre mois des élections aux États-Unis, nous publions chaque semaine la chronique de Dick Howard, professeur de philosophie politique à la Stony Brook University dans l’Etat de New-York.

 Après une semaine marquée par une vague de chaleur sans précédent au Centre-est du pays, et des feux dévastateurs à l’Ouest, le Congrès est rentré de vacances et le président revenu de quelques jours de campagne et on peut s’attendre à la poursuite du théâtre kabuki. La majorité Républicaine à la Chambre propose, pour la 31ème fois, l’annulation de la réforme du système de santé dont la Cour a validé la constitutionalité avant de prendre ses quartiers d’été. Cette proposition n’a aucune chance d’être acceptée par le Sénat. Du côté présidentiel, Barack Obama fait face à un problème plus pressant : l’expiration programmée des réductions massive d’impôts votées par le gouvernement Bush. Mais sa proposition de les maintenir pour les revenus en dessous de 250,000 dollars n’est qu’une manière de se positionner vis-à-vis de son opposant Républicain de novembre. Autrement dit, on va passer l’été à définir, à classer et à étiqueter son opposant. Et comme il n’est pas bienséant de s’attaquer directement à la personne de l’autre, cette politique-là se fera par Super-Pacs interposé. Commence maintenant l’été des Super-Pacs et le combat pour étiqueter l’autre.

 

Les PACS, ce sont littéralement des « Political Action Committees », c’est-à-dire des organisations formellement indépendantes des partis politiques, Elles ne sont pas nouvelles. Mais on parle maintenant de Super-Pacs : il s’en est créé une nouvelle espèce dont la raison d’être est « sociale », et donc dans l’intérêt général, au lieu d’être « politique », et donc partisane. La distinction est difficile à maintenir. Par exemple, réduire le fardeau des impôts ou le poids du déficit, ou encore réformer l’assurance santé, est-ce que ce sont des projets sociaux ou politiques ? Évidemment, l’astuce va être de produire une publicité qui identifie son opposant à la politique critiquée. Cela contribuera donc à la « définition » du candidat.

 

Contributions anonymes pour un but « social »

 

On a parlé de ces Super-Pacs au cours des primaires républicaines. Ils apportaient beaucoup d’argent à certains candidats, leur permettant de rester en lice. Mais on ne sait pas encore quel sera leur rôle dans la présidentielle car la création des Super-Pacs date de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire dite « Citizens United », qui date de 2010. Au nom de la liberté de parole, cette décision annulait la limitation des contributions aux Pacs, ce qui explique les sommes immenses évoquées lors des primaires. Or, comme les corporations sont juridiquement des « personnes » elles peuvent aussi contribuer autant qu’elles veulent aux Super-Pacs. Pis, en plus des contributions politiques de mécènes nommés, il peut y avoir des contributions anonymes pour autant que le but du Super-Pac soit simplement « social » ! Ainsi, on peut imaginer qu’une compagnie d’assurance opposée à l’ « Obamacare » finance un Super-Pac qui travaille pour Romney, qu’un Goldman Sachs opposé aux réformes de Wall Street en fasse de même, ainsi qu’un producteur de charbon qui n’apprécierait pas les velléités de réforme des démocrates. [1]

 

Ces exemples pourraient paraître biaisés, puisque les Démocrates peuvent aussi créer leurs Super-Pacs. Et ils ne se privent pas de produire des spots pour peindre un Mitt Romney inventeur de la délocalisation du travail, détenteur de comptes en banque dans des paradis fiscaux…mais c’est payé surtout par la campagne d’Obama, victime de sa propre hubris. Ayant battu tous les records en 2008, elle ne pensait pas devoir avoir recours à des Super-Pacs. Barack Obama, qui n’a jamais aimé le détail du combat sur le terrain préférait se tenir au dessus d’une basse affaire de fric.

Mais il a fallu se rendre à l’évidence : les Super-Pacs « sociaux » Républicains récoltaient autant sinon plus d’argent que la campagne politique de Romney. Les Démocrates ont donc créé leur propre Super-Pac. Mais les effets de l’hubris se font encore sentir, car alors que les contributeurs Républicains ne sont pas pudiques ou moralistes quant à leurs motivations intéressées, les Démocrates se considèrent comme des hommes et des femmes mus par une cause pure et ne veulent pas descendre dans la boue du quotidien. Ils préfèrent suivre l’exemple des syndicats, ou d’autres organisations politiques associatives, comme la NAACP, la « National Association for the Advancement of Colored People » qui tient cette semaine à Houston sa 103e réunion nationale, et qui pourrait aider les Démocrates à compenser l’avantage financier des Républicains.

 

L’exemple de la National Association for the Advancement of Colored People

 

On sait en effet que la vaste majorité de la population noire est pro-Obama. Le parti Républicain en a pris acte en faisant voter récemment dans 17 états des lois dont les effets limiteront la participation électorale des minorités. Ainsi, dans un pays où il n’existe aucune carte d’identité nationale, ces Etats demandent aux électeurs de montrer une preuve d’identité, par exemple un permis de conduire, voire un certificat de naissance, que les plus démunis ne possèdent souvent pas. La NAACP n’aura pas de mal à démasquer une politique qui rappelle celle du temps de la ségrégation raciale.[2] Ce faisant, elle incitera peut-être les Démocrates à quitter leur hubris moralisante pour « définir » la politique du parti républicain comme carrément réactionnaire. Ce serait le début d’un vrai débat politique par delà la rhétorique des « définitions » des candidats !

 

 

 

 


[1] On comprend que le leader républicain du Sénat, Mitch McConnell, vienne de publier une tribune dans « USA Today » pour dénoncer une proposition de loi éliminant l’anonymat des contributions… Il faut souligner que le rôle des Super-Pacs ne se limite pas à la campagne présidentielle. Leur intervention dans les élections sénatoriales pourrait être décisive, ce qui explique l’argument de M. McConnell !

[2] Un recours juridique initié par le gouvernement Obama contre une telle loi, votée au Texas, est actuellement entendu par une cours fédérale à Washington. Une décision est attendue avant la fin août, mais il y aura certainement un procès en appel, trop tard pour changer la donne en novembre !