L’hyperpuissance pacifique

C’est lundi soir 22 octobre qu’avait lieu le troisième et ultime débat télévisé entre Barack Obama et Mitt Romney. Plusieurs instituts de sondages ont donné le président sortant vainqueur de ce bras de fer mais on ne peut pas vraiment dire qu’il ait assené de « coup décisif ». Chaque semaine, Dick Howard, professeur émérite à la Sony University de New York commente la campagne américaine, qui s’achèvera le mardi 6 novembre.

Obama s’est bien comporté, mais il n’a pas fait une « performance », dans le sens sportif, qui le fasse monter d’un cran. Aux yeux de certains, il était peut-être trop agressif, ses phrases étaient trop rapides, ses sarcasmes pas nécessaires. Pour Mitt Romney, il suffisait qu’il se montre « présidentiable », ce qu’il fit d’abord par son regard légèrement ironique, son sourire parfois ironique, parfois suffisant. Et puis, il a montré qu’il avait bien appris ses leçons de géographie, parlant deux fois pendant les 15 premières minutes du Mali. Enfin, Romney a démontré aussi qu’il savait décliner les rapports de pouvoir pakistanais, distinguant les services de l’ISI des forces armées et des élus politiques. Si on considère que c’était une victoire pour Obama, elle n’était pas décisive.

La paix armée de Mitt Romney

Beaucoup de gens pensaient, avant ces débats, que Romney laisserait apparaître un côté inquiétant sur certains sujets sensibles, qu’il dirait certaines « énormités ». Ce n’est pas du tout ce qui s’est produit, et on peut dire que sur ce plan, Romney a réussi ce qu’avait réussi Reagan en 1980 : c’est à dire montrer aux Américains qu’il n’est pas un extrémiste.

D’autant plus que pour des raisons tactiques il fallait que Romney améliore son score chez les femmes, il a parlé toujours de la paix comme du but de sa politique. Les grands idéaux de Bush—liberté, démocratie, moralité…— n’étaient que des bienfaits secondaires dans sa perspective. Mais le prix d’une vision aussi irénique fut que Romney dû déclarer son accord avec la politique d’Obama en Egypte, en Iran, en tuant Ben Laden, en utilisant les drones…et jusqu’en Syrie où, malgré quelques désaccords de détail, Romney a insisté sur le fait que « le problème ne peut pas se résoudre par les armes » (we can’t kill our way out of this problem). Donc, exit le spectre de George Bush, mais pour faire place à qui ? Pour ma part, je pensais au spectre des années 50, celles où Eisenhower faisait sien le slogan « Peace through Strength ». Autrement dit, la politique étrangère de Romney serait fondée sur une force militaire supérieure, tellement supérieure qu’on n’aurait jamais à s’en servir. Obama n’avait qu’à lui faire remarquer que l’économie américaine n’est plus celle des années 50 !

Le bluff du Républicain

Ce qui est marquant et qui ressort du débat d’hier, c’est qu’en matière de politique étrangère, Républicains et Démocrates sont plutôt d’accord… En fait, les deux candidats n’avaient pas d’autres choix que de dévier vers l’économie et la politique intérieure pour afficher leur divergence. Obama est revenu à plusieurs reprises sur les positions passées de Mitt Romney… Le candidat Républicain a réagi en disant que le fait d’attaquer sa personne n’était pas un « programme en soi » et la réplique de Romney touche bien sa cible ! 

C’est une faiblesse non seulement de la campagne Obama mais de sa présidence, qui n’a toujours pas trouvé une « narrative » qui relie toutes les décisions prises au cours du premier mandat avec une vision de l’avenir. C’est surtout une critique des choix de sa campagne, qui a utilisé un avantage financier temporaire pendant l’été pour diaboliser Mitt Romney, décrit comme capitaliste vautour, destructeur et délocalisateur d’emplois, cachant son argent aux îles Caïman ou dans des comptes suisses… Cela semblait d’ailleurs une bonne tactique, jusqu’au débat du 3 octobre ! La performance étonnante de Romney (et la contre-performance minable d’Obama) ont changé la donne. Depuis, Mitt Romney fonctionne, si je puis dire, au « culot »— personne ne lui demande de rendre publiques ses feuilles d’impôt des dix dernières années (malgré la tradition) ; et surtout, personne n’insiste pour qu’il fournisse des détails pour expliquer, par exemple, comment il va réduire de 20% les impôts de tout le monde tout en éliminant le déficit et réduisant la dette nationale. Et quand Obama essaye de relever la contradiction dans sa promesse d’augmenter les dépenses militaires de mille milliards sans augmenter les impôts, Romney affirme simplement : je suis un homme d’affaires, j’ai toujours eu des budgets en règle, comme quand j’étais gouverneur, ou directeur des JO de Salt Lake City, je sais m’y prendre.

La crainte du déclin américain

L’impact que pourrait avoir ce troisième débat semble devoir être minoré par le fait qu’en général, la politique étrangère n’est pas un facteur décisif dans les choix électoraux des Américains. Mais on peut se demander si le 11 septembre 2001 n’a pas changé les choses. En 2004, c’est la politique étrangère (au sens de la sécurité) qui a permis la réélection de G. W. Bush. Ce cas de figure différait par exemple de l’élection de 1952 (où la guerre en Corée favorisait Eisenhower) ou de celle de 1968 (du temps du Vietnam et de la retraite de Johnson). Le 11 septembre a éveillé une vieille hantise américaine, celle du déclin. Le topos est connu ; c’est « la cité sur la colline » des puritains, mais c’est aussi le déclin de la république romaine. C’est dans ce contexte psychologique qu’il faut comprendre les promesses de Romney de retourner à l’Amérique d’antan—pas tant celle de la Guerre froide des années Reagan, mais celle où l’Amérique était toujours cette nation exceptionnelle, celle qui exerce un pouvoir universellement reconnu qui la dispense à avoir recours à la puissance de ses armes hyperpuissantes.

A deux semaines de l’élection présidentielle du 6 novembre, la plupart des sondages donnent les deux candidats au coude à coude. Pour convaincre les indécis, du côté Obama, c’est l’autre choix tactique de sa campagne pendant l’été qui va être réactivé, jouant sur la distinction faite par les sondeurs entre « électeurs inscrits » et « électeurs probables ». Au niveau des derniers, on est pour l’instant dans un match nul tandis que les premiers penchent clairement pour Obama. Sa campagne a beaucoup investi cet été dans la mobilisation de volontaires encadrés par les membres salariés de l’équipe afin de ne laisser échapper aucun électeur favorable, surtout dans les couches cruciales que sont les femmes (surtout jeunes et célibataires), les hispaniques (devenus plus nombreux dans des Etats clés), et la jeunesse estudiantine et ses ainés diplômés. Le problème de Romney sera de maintenir sa crédibilité après son recentrage, et de justifier devant ses fidèles la modération qu’il a montrée pendant les débats. Car il doit bien savoir qu’il n’était pas le premier choix de beaucoup de Républicains, et que ceux-ci l’ont accepté avant tout par haine d’Obama. Or pour maintenir sa crédibilité de modéré tout en mobilisant la base Républicaine, il faut qu’il maintienne ce que j’ai appelé sa « politique du culot » : qu’il ne donne aucune indication chiffrée du coût réel, voire de la faisabilité, de ses projets. C’est du bluff, mais Romney joue son rôle avec brio !