L’immigration au coeur du débat

A moins de cinq mois des élections aux États-Unis, nous publions chaque semaine la chronique de Dick Howard, professeur de philosophie politique à la Stony Brook University dans l’Etat de New-York.

Après une semaine désastreuse, Barack Obama a tenté de redonner un coup de fouet à sa campagne en choisissant un thème audacieux : « l’Immigration ». Il fallait qu’il reprenne l’initiative… Mais parler d’immigration dans son cas, c’était hardi.

Quand on analyse le choix d’un homme ou femme politique, il faut prendre en compte les trois destinataires de cette prise de position : elle a un effet sur ses propres supporteurs, qui peuvent être mobilisés ou découragés ; elle a son effet sur l’opposition, qui y cherchera son propre avantage et préparera la contre-attaque ; et il y a enfin son effet sur le bien commun — qui évidemment devrait être la considération la plus importante… sauf qu’on est en campagne contre un rival qui doit être vaincu avant que la mesure proposée puisse entrer en vigueur. 

Le « Dream Act » promis en 2008

Avant de regarder de plus près les divers effets attendus des propositions de Barack Obama, décrivons-les. Le candidat de 2008 avait promis de soutenir ce qu’on appelle le « Dream Act », une loi qui créerait un processus permettant la naturalisation des jeunes sans-papiers qui avaient été amenés en bas âge par leurs parents et qui avaient fait leur scolarité aux États-Unis, ou y avaient fait leur service militaire. Une fois élu à la présidence, le candidat a semblé oublier sa promesse, les expulsions ont atteint des records, les hispaniques, qui l’avaient fortement soutenu en 2008, se sont détournés. Il est vrai qu’Obama a proposé au Parlement le « Dream Act » en 2010, mais il a vite retiré sa proposition face à l’opposition républicaine. Il fallait agir s’il voulait retrouver le soutien de la communauté hispanique. Donc, vendredi, par un décret, Barack Obama a promis aux quelques 800,000 personnes dans cette situation des permis de travail valables pour deux ans, et renouvelables.

Bien qu’il ne s’agisse que de permis de travail, et qu’ils ne soient valables que deux ans, cette annonce peut avoir un certain effet chez les supporters d’Obama. La limitation à deux ans — justifiée par le fait que qu’il s’agit d’un décret et non d’une loi votée par le Congrès — est une incitation à la mobilisation de la communauté hispanique : si Barack Obama est élu —même sans une majorité démocrate au Congrès — on peut s’attendre à la prolongation de cette mesure. 

Ensuite, il faut soupeser le poids de cette communauté hispanique. Il y aurait environ 19,5 millions de citoyens d’origine hispanique, et 11,2 millions de sans-papiers. Chez les citoyens, seulement 50% ont voté en 2008 lorsqu’Obama excitait leurs espoirs ; mais en 2010, aux élections de mi-mandat, ils n’étaient que 31%. Mais leur poids n’est pas simplement numérique, car ils sont concentrés dans des Etats électoralement importants : 41% dans le Nouveau Mexique, 15% dans le Nevada, 13% dans le Colorado et 16% dans l’Arizona. Leur poids dans l’Etat crucial qu’est la Floride est difficile à évaluer, car beaucoup sont d’origine cubaine.

Enfin, dernière remarque, cette initiative fut précédée par la prise de position d’Obama en faveur du « mariage gai ». C’est comme s’il voulait retrouver son auréole de héraut des valeurs libérales et remobiliser les jeunes qui avaient été de ses plus fervents supporteurs en 2008.

Amnistie pour les hors-la-loi ?

Les Républicains ne vont pas laisser l’occasion leur filer entre les doigts… Ils vont se saisir de cette initiative « libérale » pour attaquer un président élitiste qui ne partage pas les valeurs du peuple. Ils vont y voir une sorte d’« amnistie » accordée aux criminels qui ne respectent pas les lois du pays. Lors des primaires Républicaines, Mitt Romney avait promis qu’il opposerait sans hésiter son véto au « Dream Act ». Selon lui, la seule solution au problème des sans-papiers, c’est ce qu’il appelle l’« auto-expulsion », c’est à dire des tactiques policières qui rendent invivable la vie des sans-papiers, qui se décideraient alors à rentrer chez eux. Mais outre que cette solution est irréaliste, elle est loin de faire l’unanimité chez les Républicains. Dans ce contexte, la proposition d’Obama utilise l’une des plus vieilles tactiques de la lutte politique : divide et impérium, diviser pour régner. D’abord, le président sait que les sondages disent que 66% des Américains trouvent que l’immigration est plutôt un bien positif. Il sait aussi que Marco Rubio, le jeune sénateur de la Floride dont on parle comme colistier avec Romney, évoque sérieusement l’idée d’une version Républicaine du « Dream Act ». Enfin, il joue sur l’opposition entre l’aile Tea Party et les Républicains plus pragmatiques qui reconnaissent que la main d’œuvre immigrée apporte un travail crucial dans beaucoup d’industries et dans l’agriculture. Pour l’instant les divisions au sein du parti Républicain se manifestent à travers les esquives de Mitt Romney lorsqu’il est interrogé sur la proposition d’Obama.

Le « bien commun »

Au-delà des « stratégies » et des « tactiques » des uns et des autres, Obama va pouvoir présenter son choix de façon rationnelle, selon les valeurs qu’il défend.

Pensez un moment à la vie de ceux qui se trouvent sans-papiers. Comment vivre toujours dans la peur d’être découvert ? Vous êtes malade, mais vous n’osez pas aller aux urgences ; vous voulez inscrire vos enfants à l’école, mais craignez qu’on ne vous demande vos papiers ; vous voulez ouvrir un compte en banque, obtenir un permis de conduire, acheter une police d’assurance… Mais ce n’est pas seulement la peur qui pèse sur vous. Vous serez exploités par votre employeur, si vous en trouvez un ; vous ne pourrez pas faire valoir vos droits s’il vous trompe. En fait, vous êtes sans ces droits fondamentaux qui constituent la dignité d’un être humain.

Un de ces droits fondamentaux, c’est celui de permettre à toutes vos capacités de s’épanouir, par l’éducation, le choix du travail, ou le service aux autres. Ce sont ces droits-là que veut garantir l’acte du président, car les 800,000 qui auront droit à des permis de travail sont des jeunes qui poursuivent (ou ont poursuivi) une éducation ou un service militaire. Ce sont leurs capacités qui pourront éclore… et tout le monde en bénéficiera.

Comme au Québec, dont on parle beaucoup en ce moment parce que les étudiants se sont révoltés, le problème du coût des études aux États-Unis est réel et pressant. La dette accumulée par les étudiants dépasse mille milliards de dollars : c’est plus que la dette accumulée sur des cartes de crédit. Une partie de cette dette est financée par des prêts subventionnés par le gouvernement. Au moment de la crise financière, le taux d’intérêt été baissé de 6,4% à 3,2%. Cette mesure expire le premier juillet, et le Congrès ne semble pas prêt à la renouveler. Que se passera-t-il ensuite ? Est-ce qu’Obama interviendra de nouveau, en son nom propre et au nom des valeurs libérales ? On verra bien s’il continue sur sa nouvelle lancée.