Lundi soir, le 25 juin, à 10 heures, l’Amérique veillait. Elle a été déçue. La Cour suprême, qui part en vacances jeudi 28, devait rendre enfin son arrêt sur la constitutionalité de la grande réforme du système santé votée par le Congrès en 2010. Hélas, il faudra attendre jeudi, ce qui rend la décision encore plus dramatique. En attendant, la Cour a tout de même statué sur une affaire importante : la constitutionalité d’une loi sur l’immigration votée dans l’Arizona et qui préconisait des mesures draconiennes envers les sans-papiers en même temps qu’elle donnait aux autorités des pouvoirs étendus et potentiellement arbitraires envers des gens dont la couleur de peau suggérait qu’ils étaient d’origine hispanique. De telles mesures rappellent les propositions de Mitt Romney visant à contraindre les gens à ce qu’on appelle l’auto-déportation. Or, la question constitutionnelle examinée lundi était à la fois plus étroite et plus large : il s’agissait des pouvoirs respectifs des Etats fédéraux et du gouvernement central. Le fait que la décision de la Cour suprême donne la priorité au niveau central est significatif pour une autre raison : l’une des objections juridiques à la réforme de la santé, c’est précisément qu’elle impose des obligations aux gouvernements des Etats.
Mais pourquoi la réforme de 2010 est-t-elle devenue un problème de constitutionalité ? Pourquoi cette « veille américaine » dans l’attente d’une décision dramatique, alors que la loi était votée en bonne et due forme ?
L’obligation de s’assurer
Cette législation concerne directement ou indirectement tout le monde. Les soins comptent pour environ 16% du PNB, et ce pourcentage monte d’année en année, creusant le déficit. La législation voulait d’une part réduire ces coûts — « retourner la courbe » comme disent les économistes — et d’autre part garantir une couverture à tout le monde. Pour cette double raison, la loi s’intitulait « Affordable Care Act (ACA) ». La méthode principale mise en œuvre imposait à chacun d’acheter une police d’assurance afin que les risques de la maladie soient partagés aussi également que possible. La concurrence entre des compagnies d’assurance privées devait contribuer à une réduction globale des dépenses de santé. Le recours aux assureurs privés devait plaire aux républicains, mais l’obligation faite à chacun de se procurer une assurance leur semblait une ingérence dans la liberté individuelle garantie par la constitution. Voilà le principal argument constitutionnel.
Campagne pour le « care »
Une campagne virulente initiée par le Tea Party et reprise par le parti Républicain dénonce l’« Affordable Care Act » sous le nom d’ « Obamacare ». Il ne s’agit pas d’une grosse erreur de marketing de la part de la Maison blanche, les choses ne sont pas si simples. Pourquoi cette appellation « care » ? Il y a aux États-Unis deux programmes publics d’assurance santé : Medicare et Medicaid. Le premier, Medicare, couvre les gens au dessus de 65 ans ; l’autre, Medicaid, vient en aide aux pauvres. Cette distinction entre « care », qui est un bien positif, et « aid », qui a une connotation négative, pourrait expliquer la logique des Démocrates qui défendent l’étiquette. On pourrait imaginer qu’Obama se serve de l’idée de « care » pendant la campagne —qui ne serait pas, alors, simplement un concours de spots négatifs contre le richissime Mitt Romney qui a gagné sa fortune sur le dos des autres.
Mais est-il bon qu’une Cour composée de neuf juges nommés à vie puisse annuler une loi votée en bonne et due forme ? La justice est censée s’occuper de la protection des droits individuels alors que c’est la politique qui veille à assurer le bien commun.
Une question d’une portée philosophique et historique immense
Quel est le rapport entre la séparation des pouvoirs et la vision d’une démocratie qui incarne le bien commun exprimé par la volonté générale ? Laissons de côté la philosophie et restons avec la politique. La révolution des droits civiques aux États-Unis et la libéralisation des mœurs à partir des années 60 étaient perçues par les conservateurs comme le résultat de ce qu’ils appelaient l’ « activisme judiciaire » de la Cour interprétant la constitution comme un document « vivant » qui devait évoluer avec son temps. Ces conservateurs, à leur tour, ont développé alors une théorie juridique fondée sur la « constitution originelle » comprise comme l’incarnation de valeurs éternelles. Or, depuis l’arrivée d’un nouveau président de la Cour ainsi que d’un nouveau juge, nommés par George W. Bush, la majorité conservatrice de la Cour semble prendre un tournant « activiste », s’arrogeant le droit d’annuler des lois votées par le Congrès et paraphées par le président. Le cas le plus notoire jusqu’ici a été Citizens’United, qui ouvrait la porte aux Super-Pacs avec leurs contributions financières illimitées. La Cour va-t-elle continuer cette nouvelle course « activiste » en annulant l’Affordable Care Act ?
Si elle le faisait, il ne resterait à Barack Obama et aux Démocrates qu’à gagner les élections en novembre en combinant notamment une défense d’ « Obamacare » avec une attaque contre une Cour ouvertement activiste et politiquement conservatrice. Ce faisant, Obama se montrerait le bon et digne héritier de Franklin Roosevelt qui a dû lui aussi faire face à une fronde judiciaire conservatrice avant de mettre en œuvre le New Deal !