Mercredi 27 juin, toute l’Amérique attendait la décision de la Cour suprême sur la constitutionnalité de la réforme du système de santé, ce qu’on appelle l’« Obamacare ». La Cour a statué, à la surprise de beaucoup, et l’essentiel de la loi est approuvé. Mais les Républicains ne sont pas contents.
Obama peut respirer, il a évité le désaveu. La popularité de sa réforme n’augmente pas pour autant. Du côté de Romney, les choses sont plus compliquées. Il ne faut pas oublier que le Tea Party, cette aile radicale du parti Républicain, est né des protestations contre ce projet de loi — mais il ne faut pas oublier non plus que Mitt Romney avait fait voter une réforme similaire lorsqu’il était gouverneur du Massachussetts. Alors, comment Romney va-t-il inventer la quadrature du cercle ? Pour l’instant, sa politique rappelle celle qu’avait adoptée l’aile droite de son parti à propos du contrôle des naissances chez les jeunes : il suffit de dire « non ». Or, comme les hormones poussent les jeunes, l’aile radicale des Républicains poussera Romney… qui n’a rien de concret à proposer. La promesse d’annuler la loi s’il est élu est plus facile à dire qu’à faire.
Le danger d’une politisation de la Cour Suprême
On pouvait craindre le danger d’une politisation de la Cour depuis la décision de 2000 dans Bush v. Gore qui accordait la présidence au candidat Républicain. Or, cette fois, la Cour semble avoir donné raison au projet Démocrate. Mais le danger de politisation reste ; selon le NY Times, il n’y a qu’une personne sur huit qui pense que les arrêts de la Cour sont libres de toute considération partisane. Le président de la Cour, John Roberts, 57 ans et voué à présider cette institution pendant des décennies à venir, s’en rend certainement compte, ce qui expliquerait qu’il ait voté avec l’aile libérale de la Cour. Mais attention : son raisonnement, pour être politiquement sage, est judiciairement perfide !
Comme la santé consomme quelques 16% du PNB, la loi votée par le Congrès s’appuyait sur la nécessité de règlementer le commerce interétatique lorsqu’elle imposait à chacun l’obligation de s’acheter une police d’assurance. Malgré les objecteurs disant que si l’on pouvait ainsi contraindre les gens à s’assurer, on pouvait aussi les contraindre éventuellement à manger du brocoli, cette loi n’était que l’application des pouvoirs créés par les Pères fondateurs de la République qui, en 1787, avaient instauré la constitution actuelle pour mettre fin à l’anarchie des « Articles of Confederation » qui laissaient à chaque Etat la liberté de faire les lois qui lui plaisaient.
Un coup perfide ?
John Roberts ne s’est pas fondé sur cette histoire constitutionnelle ; il a dit que l’obligation de s’assurer pouvait être considérée comme une simple taxe. Du coup, Mitt Romney pourra justifier son refus de la loi comme une autre application de sa politique anti-taxes. Au-delà de ces considérations tactiques, la question d’une Cour activiste revient, mais d’une façon alambiquée. Quelle est la vision à long terme de la droite radicale américaine ? En un mot, elle veut réduire l’Etat comme une peau de chagrin. Or, si la réglementation du commerce — illustrée par ce cas de la santé —n’est qu’une taxe au lieu d’être une protection de la liberté aussi bien du citoyen que du marché — alors on voit très bien comment une démagogie égoïste pourrait se saisir de la logique judiciaire de John Roberts pour manipuler l’opinion publique. La perfidie revient donc à nier que le bien commun — en l’occurrence, la règlementation du commerce — ait un statut de garantie constitutionnelle.[1]
On peut se demander, puisqu’on est en campagne, comment Obama va manier cet enjeu. Sa victoire judiciaire — car c’en est une, malgré tout — pourra enfin lui permettre de quitter la défensive où il a été acculé depuis la montée du Tea Party. Se pose toutefois la question de savoir s’il reprendra l’offensive. Est-ce que le vote par le Congrès, confronté à la date butoir du 1er juillet, d’une loi de financement des infrastructures ainsi que celui des prêts étudiants réveillera ses velléités centristes ? Après plus de trois ans, la vision de Barack Obama reste souvent un mystère pour ceux qui furent ses fervents supporteurs.
4th of July - Independence Day
En ce jour de fête, je ne chercherai pas à percer ce mystère, sinon par une brève allusion à un livre d’actualité. Le 4 juillet est l’anniversaire de la Déclaration d’Indépendance, cette belle évocation des valeurs de la République, dont la première est que « les hommes sont tous égaux ». Or, cette phrase ne revient pas dans la Constitution, alors que depuis deux siècles la gauche y trouve le fondement de sa politique. C’est la thèse d’Eli Zaretsky, dans un livre historique passionnant : Why America Needs a Left.2 Son sous-titre A Historical Argument ne fait qu’en souligner son actualité.
[1] Ce qui se confirme par une lecture plus attentive de l’arrêt de la Cour : on voit qu’il garantit aux Etats fédéraux un droit d’abstention (« opt out ») des garanties d’aide aux plus pauvres qui bénéficient du Medicaid.
[2] Eli Zaretsky, Why American Needs a Left. A Historical Argument (Polity Press, Cambridge, UK, 2012)