La narration d’Obama

A sept mois des élections aux États-Unis, nous publions désormais chaque semaine la chronique de Dick Howard, professeur de philosophie politique à la Stony Brook University dans l’Etat de New-York.

Il y avait le 24 avril des primaires républicaines dans cinq Etats du nord-est américain. Mais les jeux étaient déjà faits avant même le vote étant donné que Mitt Romney sera le candidat qui fera face à Obama dans la course à la Maison-Blanche…

Il y a quelque temps déjà, Rick Santorum, l’ancien sénateur de la Pennsylvanie, a quitté la course avant même les primaires dans son Etat. Cette décision a pu surprendre, mais il ne faut pas oublier qu’il avait été battu de 12 points lors de sa campagne pour la réélection en 2006. Plus sérieusement, la montée tardive de Santorum, le dernier espoir des conservateurs, reflète une faiblesse du parti républicain qui risque de lui coûter cher en 2012. La force du Tea Party, qui a permis aux Républicains de prendre la Chambre en 2010, s’exprimait surtout au niveau de certaines circonscriptions ; elle est moins important s’agissant d’élire un sénateur, et encore moins aux présidentielles. C’est d’ailleurs le fondement de l’idée de la séparation des pouvoirs dans la république américaine. C’est aussi le fondement du « centrisme » typique de la vie politique aux États-Unis.

Mitt Romney, homme du consensus républicain ?

Mais le principe des primaires, c’est justement d’assurer que toutes les opinions au sein du parti sont entendues et prises en compte dans le choix du candidat. Mitt Romney dira représenter ce juste milieu, ce consensus des membres du parti.

Il dira que ses opposants, les uns après les autres, ont eu leur heure de gloire avant de disparaître face au candidat dont la modération, venue de son expérience d’homme d’affaires, le qualifie pour la difficile tâche qui l’attend. Le problème, c’est d’abord l’âpreté de la campagne qui laissera des traces. 

Ensuite, il y a le fait que le prix payé par Romney pour sa victoire l’a éloigné de plus en plus du centre. Il aura du mal, par exemple, a retrouver le soutien des femmes (après ses prises de position sur la contraception), des hispaniques (à cause de l’immigration) et des simples modérés (qui le trouvent trop partisan). Enfin, la campagne de Barack Obama fera tout pour qu’on n’oublie pas ses positionnements droitiers lors des primaires.

La narration d’Obama

Barack Obama, lui, n’a pas à se préoccuper de primaires : pour aborder, organiser sa campagne, il devra se souvenir de l’adage rendu populaire par Bill Clinton : « c’est l’économie, idiot », qui conserve une partie de sa validité. L’économie semble aller mieux ; mais 8% de chômeurs, c’est beaucoup (bien que le taux fût de 7,9% lors de sa prise de fonctions). Quoi qu’il en soit, la politique n’est pas un simple reflet de l’économie. La politique, c’est surtout la création d’une histoire crédible qui relie le passé, le présent et — avant tout—l’avenir. Le grand défaut politique du gouvernement Obama, c’est son incapacité à créer une telle histoire. 

Un exemple, chiffres à l’appui. Barack Obama a tout pour plaire. Un récent sondage lui accordait un taux d’ « amabilité » (likeability) de 48%, contre seulement 33% pour Romney, un autre sondage le dit plus « facile » (easygoing) par un score de 54% contre 18%. Le seul avantage de Romney, c’est la « compétence » économique pour laquelle il est apprécié plus qu’Obama, par 47% contre 43%. Voici donc les données du départ. À Obama de jouer, d’inventer une politique.

 

Si Romney doit tenter de conquérir le centre, on peut se demander si Obama va effectuer un virage sur sa « gauche ». Pendant les 4 mois des primaires républicaines, les alliés d’Obama, qui voyaient bien que Romney serait sans doute le candidat républicain, soulignaient son absence de « caractère », ses revirements, ses propriétés de girouette. Il est probable que le ton change désormais ; on va faire de Romney un vrai conservateur, un conservateur extrême, d’un type qu’on n’a pas vu depuis la campagne désastreuse de Barry Goldwater en 1964. Il n’y aura donc pas d’attaques contre l’homme mais contre sa vision politique… et incidemment, celle de son parti. Ceci aura sans doute aussi l’avantage de faire élire des Démocrates au Congrès afin d’éviter le péril d’un gouvernement bloqué et incapable d’agir dans un monde qui n’en a pas fini avec la crise.

Pendant les deux premières années de son mandat, Obama disposait de la majorité dans les deux chambres… il ne l’a perdu qu’en 2010. Mais il en a certainement retenu la leçon ; et si l’on peut critiquer la première politique d’Obama pour sa naïveté - pouvait-il vraiment dépasser les clivages politiques, comme il le prétendait ? Ou lorsqu’il fit voter la réforme de la santé par un forcing législatif ? Il a compris et il va essayer de faire comprendre au public les forces et les limites de la présidence — et ce sera sa nouvelle histoire. Ainsi, par exemple, il commence à exploiter les marges offertes à l’exécutif par les décrets d’application des lois et leur mise à jour lorsque le Congrès tergiverse. Le président s’active, il prépare une campagne autant contre le Congrès que contre Mitt Romney, qui s’est identifié avec son aile conservatrice. Ce sera une campagne négative mise en scène par une narration positive dont le président sera le héros.