La semaine des gaffes

A cinq mois des élections aux États-Unis, nous publions chaque semaine la chronique de Dick Howard, professeur de philosophie politique à la Stony Brook University dans l’Etat de New-York.

La semaine dernière n’a pas été une très bonne semaine pour le président américain Barack Obama qui a eu droit à une série de mauvaises surprises... En soi, rien de désastreux, mais ensemble, elles pourraient signaler quelques problèmes à venir, surtout à l’approche des présidentielles.

La première mauvaise nouvelle concerne les chiffres pour l’emploi. Il y a d’abord les chiffres pour le mois de mai. Alors qu’il faut environ 125,000 créations de poste pour compenser la croissance démographique du pays, le chiffre de mai n’était que 69,000. Ceci explique que le taux de chômage officiel du mois de mai soit monté de 8,1 à 8,2% - ce qui sous-évalue les pertes, car des chômeurs à long terme, les découragés, qui ne cherchent plus de travail, sont exclus du chiffre. Il n’est pas nécessaire de dire que Mitt Romney s’est saisi de ces chiffres pour dénoncer un président dépassé, incapable de faire face à une économie qui continue à souffrir des effets de la crise de 2008.

Comment va le secteur privé ?

Mauvaise nouvelle numéro deux : à la fin de la semaine, lors d’une conférence de presse, le président a commis une gaffe… Il a affirmé que « le secteur privé de l’économie va bien »… Une autre occasion pour Mitt Romney, qui s’en est tout de suite emparé, de ridiculiser le président…Il faut cependant comprendre le contexte de cette gaffe : la conférence de presse devait critiquer le refus du parti Républicain au Congrès de voter une série de mesures qui stimuleraient l’économie et encourageraient la création d’emplois. Comme le gouvernement ne peut pas créer directement du travail dans le secteur privé, les propositions d’Obama concernaient des emplois publics, des enseignants, des policiers, des pompiers… 

Or, si ce contexte explique l’affirmation — maladroite, pour le moins — que « le secteur privé va bien », il faut créditer Romney pour s’en être servi de façon tout à fait maligne. Voilà, disait Romney, la preuve du « socialisme » d’Obama : il veut augmenter la taille de l’Etat, et ce faisant il va augmenter encore la dette nationale. 

L’attaque de Mitt Romney ne s’est pas arrêtée là… Il a également rappelé à Obama ce qu’il appelle « la leçon de Wisconsin », cette élection dont nous avons parlé la semaine passée…

En effet, les électeurs de cet Etat ont refusé de destituer un gouverneur Républicain dont la politique antisyndicale préludait à une série de mesures visant à une réduction de la taille et des fonctions de l’Etat. Nous y avions décelé l’opposition entre une vision de la démocratie directe et celle de la démocratie représentative. En attendant, le choix des électeurs au Wisconsin était fortement influencé par l’argent des Super-Pacs, qui donnait un avantage massif au gouverneur. Leur poids se fera sentir lors de l’élection présidentielle. En 2008, Barack Obama et les Démocrates avaient battu les records de financement politique, laissant loin derrière John McCain qui, pour sa part, avait accepté le financement public. Il n’en sera pas de même en 2012, comme l’annonce une autre mauvaise nouvelle de cette semaine : au mois de mai — le premier mois où il était officiellement candidat de son parti — Mitt Romney et les Républicains ont engrangé 77 millions de dollars, alors qu’Obama et les démocrates n’en ont reçu que 60 millions, ce qui est une différence de taille. Obama ne sera sans doute pas distancé en 2012 comme l’était McCain en 2008 ; mais Romney ne manquera pas de finances.

Super-pacs et super-riches

A propos de millions de dollars, et de Super-Pacs financés par les super-riches, il faut évoquer encore un élément de cette semaine misérable pour Barack Obama... Cette fois, ce n’est pas lui mais l’ex-président Démocrate Bill Clinton qui a commis la gaffe. Réputé pour l’acuité de son jugement politique, Bill Clinton est aussi connu pour son imprévisibilité. Il avait déjà créé des problèmes en affirmant son « admiration » pour le travail capitaliste de Mitt Romney — une remarque qui peut se comprendre, car Romney est riche, mais qui n’était pas politiquement très astucieuse. Sa gaffe de la semaine passée était d’avoir affirmé que l’état de l’économie nécessitait le maintien des réductions d’impôts votées sous Bush et qui viennent à expiration le 1er janvier prochain. En tant que proposition d’économiste, cela peut se discuter ; mais comme Barack Obama propose de mettre fin aux réductions d’impôts pour ceux qui gagnent au-dessus de 250,000 dollars, l’imprévisible Clinton a montré à nouveau une surprenante absence de jugement politique. Et cela d’autant plus qu’une des lignes d’attaque de la campagne Obama sera de rappeler la distance qui sépare les 1% des 99% du pays.

Pour conclure sur cette mauvaise semaine, des voix ce sont élevées au Congrès la semaine passée pour dénoncer des « fuites » qui auraient été « organisées » par le gouvernement Obama dans le but de le présenter sous un beau jour… Le département de Justice promet une enquête mais, pour les Démocrates, le mal est fait.

Le président a récusé cette accusation lors de sa conférence de presse de vendredi. Il s’agit de deux longs reportages, dont les implications sont ambiguës. Le premier tend à montrer la complicité des États-Unis avec Israël, dans la création du virus « Stuxnet » qui avait sérieusement ralenti le projet nucléaire iranien. Est-ce à dire qu’Obama cautionne, sans débat public, une nouvelle forme de guerre, la cyber-guerre ? Le second reportage établissait la participation directe du président dans le choix de cibles des attaques de drones. Mais quelle est la valeur morale d’une politique d’assassinats dont les fins sont décidées par le président dans son âme et conscience ? Dans les deux cas, ce ne sont pas les Républicains qui s’y opposeraient mais la gauche du parti Démocrate qui y verrait encore une trahison de leur candidat.