Le couronnement de Mitt Romney

A moins de trois mois des élections présidentielles américaines, nous publions chaque semaine le commentaire de Dick Howard, professeur émérite à la Stony University de New York. Cette semaine, la convention Républicaine où Mitt Romney sera enfin adoubé par un parti qu’il peine toujours à conquérir. 

A une semaine de la Convention républicaine où Mitt Romney sera enfin adoubé par un parti dont il peine à conquérir le cœur et qui marquera le début de la campagne officielle qui prendra fin le mardi 6 novembre, les leçons de la précampagne de l’été commencent à prendre forme.

 

 

Avantage Obama

 

Étant donné les règles de campagne parfois assez baroques, le fait que Barack Obama n’a pas eu à affronter de primaires lui a donné un fort avantage financier dont il se s’est servi pour « définir » son adversaire par une série de publicités critiquant son passé de « capitaliste vautour » et sa vision économique de l’avenir favorisant les riches et nuisant aux classes moyennes. Cette tactique semble avoir semé des doutes dans un électorat concerné avant tout par le baseball et les JO. Mais Romney est loin d’être KO. Il a pu monter une contre-attaque grâce à une décision de la Cour suprême qui encourage la création des Super-Pacs formellement indépendants du candidat mais de facto contrôlés par celui-ci. En somme, il y avait un léger avantage estival pour Obama… jusqu’à l’annonce surprise de la désignation de Paul Ryan comme colistier de Mitt Romney. Avec ce choix, que certains appellent « courageux » (pour ne pas dire « audacieux »), Romney versait son obole aux conservateurs qui doutaient de sa fidélité à leur cause.

 

Les ambigüités de Paul Ryan

 

Nous avons déjà évoqué la position politique de Paul Ryan, jeune député de 42 ans qui préside la commission budgétaire du Congrès. Mais c’est une chose d’être le député représentant une circonscription du Wisconsin, une autre d’être candidat national. Paul Ryan est désormais sous les feux des médias nationaux

Ce choix a pourtant électrifié les fidèles, dont l’enthousiasme sera crucial non seulement le 6 novembre, mais tout au long de la campagne. Mais, d’après les premiers sondages au niveau national, cela n’a pas produit le « rebondissement » habituel lors de la désignation d’un colistier. Et les organisateurs de la campagne de Barack Obama s’en sont léché les babines, car Paul Ryan est l’auteur aussi bien d’un plan fiscal draconien que d’un projet de réforme des assurances santé pour les seniors, le fameux Medicare. Pourtant cet opposant au « Big Government » n’a pas hésité à introduire une proposition loi décrétant que la vie commence au moment de la conception, une prise de position qui pourrait devenir embarrassante étant donné l’affaire Akin dans le Missouri[1]. Or, selon la tradition américaine le candidat à la vice-présidence fait le sale boulot de la campagne, ce qui permet à la tête de liste d’apparaître « présidentiel ». Paul Ryan a donc lancé une attaque tous azimuts contre l’« Obamacare ». Sa rhétorique est loin d’être subtile : les 716 000 milliards qu’épargnerait cette réforme seraient selon lui une confiscation de l’argent qui aurait dû être versé aux soins médicaux des seniors[2]. Selon la même fausse logique, l’expiration programmée des réductions d’impôt votées du temps de Bush serait « la plus grande augmentation des impôts dans l’histoire américaine ». On peut se demander si cette rhétorique sera avalée au niveau national.

 

Le scenario de la convention

 

La convention Républicaine sera le couronnement de Mitt Romney. Avant la généralisation des primaires pendant les années 70, les conventions étaient des sites de contestations, opposant les candidats les uns aux autres. Aujourd’hui, on peut parler de « couronnement  », car les conventions sont des affaires dont le scenario est entièrement écrit, ce qui explique que les grandes chaines de télévision ne transmettront qu’une heure par jour. Pour ce qui est de la structure, la distribution des rôles sera reprise à Tampa. L’attaque sera articulée par le discours principal, le « Keynote Address », qui sera prononcé par le pugnace gouverneur du New Jersey, Chris Christie. Ensuite, Paul Ryan devra réussir l’exploit paradoxal de se présenter au public national à travers un discours négatif. Enfin, mais avant tout, la convention devra « présidentialiser » Mitt Romney. Le dilemme, c’est que jusqu’ici, le candidat s’est présenté comme un homme d’affaires lucide mais froid, capable de transférer au niveau national les succès qu’il a rapportés dans l’économie privée. Les discours mis en scène pendant les quatre journées de la convention, couronnée par le sien, devront alors faire de l’homme privé une figure politique. La tâche ne sera pas facile ! Après tout, une élection politique est autre chose qu’un referendum sur l’économie…

 

Visions d’avenir

 

Pendant ce temps, le camp Obama ne sera pas passif. Il ne laissera évidemment pas sans réponses les jeux rhétoriques de Paul Ryan. Il s’attaquera surtout à son plan budgétaire, qui prétend que les baisses d’impôts en faveur des riches seront compensées par une création d’emplois qui fera fleurir l’économie, ce qui fera rentrer plus d’impôts, ce qui enfin réduira le déficit[3]. Jadis, George Bush père dénonçait une telle vision comme de l’ « économie vaudou ». Or les Républicains essaient toujours d’y faire croire.

 Cependant Barack Obama ne pourra en rester là. Il faut qu’il retrouve le message d’espoir et la promesse d’une société plus juste qui l’avaient porté à la présidence en 2008. Un pas dans ce sens s’est produit mercredi passé, le15 août, alors que des jeunes sans papiers faisaient la queue pour profiter de la proposition du président de leur accorder un sursis de deux ans pour rester et travailler dans le pays. Il est vrai qu’en 2008, Obama avait promis de leur ouvrir une voie vers la citoyenneté ; mais celle-ci était fermée par la majorité républicaine à la Chambre. Néanmoins, ce petit pas—comme sa prise de position en faveur du mariage gai au mois de mai—devrait rallumer les espoirs. Si Mitt Romney joue le referendum sur l’économie, les Démocrates répondront par la remobilisation d’une coalition portée par une vision politique de l’avenir. Reste à voir comment ils mettront en scène cette vision lors de leur convention, qui aura lieu du 4 au 6 septembre. 

 

 


[1] Il s’agit d’un candidat Républicain pour le Sénat opposé à l’avortement même au cas de viol qui expliquait dans une interview que dans des cas de “viol légitime” le corps de la femme a “des moyens” pour s’empêcher de tomber enceinte. Cette déclaration a soulevé un tollé : en quoi un viol peut-il être « légitime », et d’où vient la « science » médicale du candidat ? Mitt Romney l’a dénoncé, Barack Obama et les Démocrates aussi. Le parti Républicain demande au candidat de se retirer et déclare qu’il ne financera pas la campagne du candidat. Celui-ci doit se décider avant 17h mardi.

[2] Notons que Paul Ryan reprend aussi l’accusation selon laquelle la commission d’experts chargés par la loi de trouver des réductions du coût des soins serait des « bureaucrates non élus » chargés de décisions concernant la vie ou la mort des dits seniors, La dénonciation de ces « Death Panels » en 2010 expliquerait que 59% des seniors auraient voté Républicain alors que leur majorité se situe normalement du côté Démocrate. Par ailleurs, le New York Times (du 19 août) s’est emporté, publiant sur deux tiers de sa page éditoriale une critique fulminante sous le titre « Truth and Lies about Medicare ».

 

[3] Au cas où la magie ne produit pas les résultats escomptés, Paul Ryan propose d’éliminer des « niches » fiscales et les « subsides » aux intérêts particuliers… sans en nommer un seul, car ceux-ci n’existent pas par hasard mais expriment le poids de groupes de pression bien réels. Les deux gros poissons auxquels il faudrait s’attaquer dans ce cas sont la déduction fiscale des intérêts hypothécaires et celle pour les contributions charitables. On imagine le tohu-bohu que cette proposition provoquerait !