Le débat au Congrès sur le budget revient toujours au même blocage : coupes dans les dépenses sociales ou augmentation des impôts.
Cette semaine, il s’agissait des taux d’intérêts sur les prêts étudiants qui devront doubler (à 6.8%) automatiquement en juillet si le Congrès n’intervient pas. Après une première passe d’armes rhétorique, les deux partis sont tombés d’accord pour annuler cette hausse… mais la Chambre propose de la faire payer par des réductions de bénéfices sociaux alors que les démocrates veulent éliminer des niches fiscales, ou imposer les surprofits des compagnies énergétiques. Donc, à cette aune, rien de nouveau.
Il faudra certainement revenir sur l’avenir de l’université—la dette étudiante (et son financement par titrisation) n’étant qu’une manifestation d’un malaise plus profond. Mais la crise n’est pas encore mûre.
Un idéologue de la Constitution
Un personnage particulier s’est retiré en début de semaine de la course à l’investiture républicaine : Ron Paul, le libertaire, ne fera plus concurrence à Mitt Romney.
On appelle ce médecin du Texas : Dr. No, docteur non, car il refuse de voter toute mesure qui ne soit pas directement liée à la constitution— un argument qui reflète un aspect de l’idéologie du Tea Party. Il refuse aussi, depuis le temps de la guerre au Vietnam, toute intervention militaire qui ne soit pas votée par le Congrès parce que cela donne trop de pouvoir à l’exécutif. De fil en aiguille, il est amené à critiquer d’autres mesures qui, selon lui, violent la séparation des pouvoirs, de la création de la Réserve fédérale en 1913 jusqu’aux institutions créées dans les années 30 par le New Deal. En un mot, Ron Paul est un libertaire qui refuse d’admettre l’essence contradictoire de sa politique, savoir qu’il veut prendre le pouvoir pour mettre fin au pouvoir.
C’était sa troisième campagne pour devenir président des États-Unis et probablement la plus efficace. Dans le mail qu’il a adressé à ses supporteurs, Ron Paul dit qu’il ne ferait plus campagne dans les primaires qui restent (dont le Texas et la Californie), mais qu’il encourageait ses supporteurs à poursuivre leurs campagnes au niveau des délégations des Etats afin d’avoir une influence lors de la convention Républicaine à Tampa où sera décidée la plateforme du parti. Mais delà de cette convention, Ron Paul se félicite du progrès de ce qu’il appelle « le projet que j’ai commencé il y a 40 ans ». Est-ce qu’il souhaite passer le flambeau à son fils, Rand Paul, sénateur du Kentucky ? En tout cas, la question qu’esquive cet idéologue de la constitution, c’est le rapport qu’auront ses fidèles avec les activistes du Tea Party qui se disent de tout aussi fervents défenseurs du document fondateur de la république… mais qui sont portés aussi, et peut-être surtout, par une vision religieuse des fondements du politique ?
Ron Paul s’appuie beaucoup sur la constitution américaine pour défendre ses positions politiques. Mais à l’opposé du spectre politique américain, Barack Obama fait aussi référence à elle dans sa déclaration en faveur du mariage gai : il se base sur une application égale des droits constitutionnels... comme le faisait Lyndon Johnson à propos des droits civiques des noirs dans les années soixante ! Mais si sa prise de position semble lui avoir rallié des partisans, d’autres, plus religieux eux aussi, ne sont pas prêts à lui emboîter le pas.
Le discours de Lyndon Johnson
Cette prise de position est-elle une décision tactique ou stratégique ? Autrement dit, est-ce qu’elle concerne la campagne électorale ou est-ce un signe du retour de l’Obama visionnaire qu’on a connu en 2008 ? Dans ce dernier cas, ce serait la poursuite de la politique progressiste annoncée par le Discours annonciateur d’Osawatomie en décembre 2011. Johnson avait terminé son fameux discours de 1965 avec les paroles de l’hymne du mouvement : We Shall Overcome. Pourtant, il savait que son soutien à cette loi allait coûter à son parti sa majorité au Congrès pendant une génération.
Du point de vue tactique, l’insistance d’Obama sur ce qu’on appelle les « questions sociales » —la contraception, les droits des femmes, ainsi que le mariage gay—détourne l’attention du public du fait que l’économie boîte, que le chômage reste élevé, et que le déficit ne baisse pas comme il l’avait promis.
Cependant, ce qu’on appelle aux Etats-Unis les « questions sociales » fut pendant plus de 20 ans l’argument principal du parti Républicain. L’ironie de l’histoire est que les Démocrates essaient de retourner contre les républicains leur arme de destruction massive ! Mais les bonnes recettes en politique dépendent toujours d’une prise en compte des changements de la réalité sociale. Les générations passent, les jeunes qui prennent leur place sont plus ouverts, plus tolérants, moins dogmatiques. Laissons aux sociologues l’explication de ce changement, qui concerne aussi la globalisation, la transformation des rapports de travail, et bien sûr l’internet ; constatons tout simplement que c’est la chaine de télévision Fox (la voix des conservateurs du parti Républicain) qui présente le plus de séries où l’homosexualité est traitée comme un simple vécu de la vie moderne. Il s’agit d’un fait social, nos sociétés se libéralisent.
« due process »
A plus long terme, pour comprendre l’enjeu et la portée politique du choix de Barack Obama, il faut revenir encore plus loin dans l’histoire des États-Unis. À la fin de la Guerre civile, en 1865, l’Amérique a voté le 13e amendement à la Constitution qui abolissait la « servitude involontaire », autrement dit, l’esclavage. Mais cet amendement ne comportait pas de décrets d’application ; et on a dû constater que la liberté privée, ou négative, n’avait pas de portée sans des lois publiques, positives, qui en assureraient la réalité. Donc, trois ans plus tard, il a fallu voter le 14e amendement pour assurer la protection égale de tout citoyen et garantir que celle-ci serait appliquée de façon égale, ce qu’on appelle ici le « due process ».
Cette phrase, le « due process » eut des implications plus tard lorsque le 14e amendement fut interprété par la Cour suprême comme l’assurance de la suprématie des lois nationales sur celles que peuvent voter l’un ou l’autre Etat fédéré—par exemple, dans les questions raciales, des lois ségrégationnistes. Dans le cas présent, à la lumière du fait que plus de 30 Etats ont voté une interdiction du mariage gay, une loi fédérale surdéterminerait les lois particulières de l’un ou de l’autre Etat. »
Comparer la libération des esclaves à l’autorisation du mariage gay peut paraître exagéré, mais on en verra la portée non seulement en novembre 2012, mais bien au-delà. En tous les cas, ceux qui disent qu’ « ils » — les gays et lesbiennes—pouvaient déjà faire ce qu’ils veulent dans le privé, et qu’ils peuvent même légaliser leurs rapports par des unions privées ou par des PACS, oublient deux choses : d’abord, que la loi publique met fin à l’arbitraire souvent confus et fragile des arrangements sociaux privés ; et ensuite qu’au delà de la liberté subjective et individuelle, la reconnaissance publique est constitutive de la citoyenneté dans une société moderne. Au delà des droits de l’homme, il s’agit de retrouver les droits du citoyen.