Le président peut-il assassiner préventivement ses ennemis ?

A moins de quatre mois des élections aux États-Unis, nous publions chaque semaine la chronique de Dick Howard, professeur de philosophie politique à la Stony Brook University dans l’Etat de New-York.

 

Les dernières polémiques de la campagne électorale sont de nature à plaire à un professeur de philosophie politique : Obama en effet aurait mis en question la contribution individuelle des créateurs d’entreprises —de Henry Ford à Steve Jobs — qui ne seraient que des bénéficiaires de largesses sociales. Voilà pour ses adversaires une nouvelle preuve que le candidat démocrate est un « socialiste »… 

Mais c’est la sempiternelle question de l’œuf et de la poule : lequel est à l’origine de l’autre ? Évidemment, chacun d’entre nous est né de parents, et dans une société qui nous offre des possibilités déterminées et nous impose des limites plus ou moins fixes. Or, nous sommes tout de même des individus et sommes différents les uns des autres. Pour autant que nos sociétés sont démocratiques, l’individu peut toujours dépasser les limites sociales et leur imprimer son caractère propre… par exemple par l’invention de nouvelles technologies ou par la création de nouvelles entreprises…

La place de l’Etat

L’enjeu politique, derrière ce débat philosophique, c’est le rôle du gouvernement. Pour les uns, les impôts et l’intervention du gouvernement créent une société qui soutient l’individu tandis que, pour les autres, il faut libérer l’individu de toute entrave gouvernementale. Ainsi, les Républicains, renforcés par la chaine de télévision FOX, ont sauté sur une phrase malheureuse où Obama insistait sur la contribution de la communauté à la réussite individuelle pour faire du président un ennemi de la libre entreprise. C’est de bonne guerre. Hélas, la réponse d’Obama a été de renforcer ses attaques contre Romney en le présentant comme un champion de la délocalisation du travail et un détenteur de comptes en banque suisses qui n’ose pas rendre publique ses feuilles d’impôt. En un mot, ça vole très bas.

Mitt Romney change-t-il de sujet en partant pour un voyage en Europe ? On sait pourtant que la politique étrangère ne joue pas un rôle important dans les campagnes présidentielles.

La part de la politique étrangère

Mais on peut évaluer ce voyage d’un point de vue tactique. Visiter la Pologne, c’est faire un clin d’œil à l’électorat catholique dans les grandes villes du Middlewest (et critiquer implicitement la politique russe d’Obama) ; un arrêt en Israël est obligatoire étant donné le lobby juif et le poids des évangéliques (et l’échec de la politique Obama dans la région) ; puis l’Angleterre et la cérémonie d’ouverture des JO rappelleront que Mitt Romney avait quitté Bain Capital (la compagnie qu’ilprésidait) pour sauver les JO d’hiver 2002 à Atlanta de la faillite.

Au-delà des simples considérations tactiques, Mitt Romney doit poursuivre une stratégie. L’entrepreneur qu’il est n’a pas beaucoup d’expérience en politique étrangère. Il doit faire voir qu’il est reçu et respecté par les grands de ce monde (tout comme le faisait le jeune et inexpérimenté sénateur Barack Obama en 2008). Plus concrètement, Romney reviendra sur sa critique de la politique étrangère d’Obama dont le maître mot serait « je m’excuse »… je m’excuse d’une part de mes succès domestiques qui seraient responsables des inégalités dans le monde ; et je m’excuse d’autre part de mes ingérences à l’étranger qui seraient l’expression d’une volonté hégémonique. Romney se réclamera de Ronald Reagan pour proclamer que le salut domestique des États-Unis apporte le Bien au monde.

Les Obamians

Dans ce début de campagne présidentielle, on se demande quelle est la stratégie politique de Romney. On discute aussi la question de savoir s’il y a une « doctrine Obama » en politique étrangère ?

Deux livres récents retracent l’apprentissage "extérieur" du jeune président qui s’est débarrassé du fardeau de deux guerres, a tué Bin Laden, et affaibli sérieusement ce qui reste d’Al Quaida. Mais ceci ne fait pas encore une « doctrine ». L’étude de James Mann, The Obamians, décrit une nouvelle garde en politique étrangère qui diffère de celle entourant le gouvernement Clinton par le fait que c’est le désastre en Irak— pas celui de Vietnam — qui est le repoussoir à éviter à tout prix. Pour sa part, David Sanger aborde dans Confront and Conceal l’emploi de drones contre les Talibans au Pakistan, puis leur utilisation au Yémen et ailleurs pour poser un grave problème : le président peut-il assassiner « préventivement » ses ennemis ? N’oublions pas que la guerre en Irak avait été présentée par l’administration précédente comme une guerre “preventive” ! 

Allant plus loin, Sanger se demande si l’effort fait pour empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire par le recours à la « cyber-guerre » lors de l’opération dite « Stuxnet », n’ouvre pas un nouveau terrain pour des guerres d’avenir qui risquent d’aller au-delà des souhaits originels des « Obamians » ? Ces questions ne font pas une « doctrine », elles n’en sont pas moins réelles.