Les tentations isolationnistes de Londres

Chaque mardi, le point de vue de la rédaction de Boulevard-Extérieur sur un sujet de politique internationale.

L’annonce par David Cameron d’un référendum en 2017 sur le maintien, ou non, de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne relève d’abord de considérations de politique intérieure. Concurrencé sur sa droite par les eurosceptiques du Parti de l’indépendance (UKIP), le premier ministre conservateur veut donner des gages à un électorat qui risque de lui faire défaut aux élections législatives de 2015. En offrant aux Britanniques la possibilité de dire non à l’Europe s’ils le reconduisent au pouvoir, David Cameron se livre à une habile opération tactique en direction de la fraction la plus anti-européenne de son opinion publique.

En contrepartie, il confère à ce qui n’était jusqu’à présent qu’une hypothèse d’école une crédibilité nouvelle et renforce dans son pays, au lieu de les combattre, les tentations d’un « repli frileux », selon les termes de Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, qui dénonce avec véhémence des réflexes « nostalgiques », « nationalistes » et « rétrogrades ». On comprend que les partenaires européens du premier ministre britannique accueillent froidement sa mise en demeure. « L’Europe, elle doit se prendre telle qu’elle est », tranche François Hollande.

Dix ans après la tentative manquée de Tony Blair de mettre la Grande-Bretagne « au cœur de l’Europe », David Cameron prend le risque de la reléguer à sa périphérie. Son compatriote Julian Priestley, ancien secrétaire général du Parlement européen et pro-européen résolu, l’accuse, dans une tribune publiée par Notre Europe-Institut Jacques Delors, de proposer un « surprenant revirement » de quarante ans de politique européenne britannique. De fait, depuis son entrée dans la Communauté en 1973, la Grande-Bretagne a toujours choisi de faire valoir ses vues au sein des institutions, avec une réelle efficacité, plutôt que d’abandonner le terrain.

Il est difficile de croire que David Cameron soit réellement prêt à envisager la sortie de son pays de l’Union européenne. Il n’ignore pas que, sauf à se résoudre à l’isolement, la Grande-Bretagne n’a pas de solution de rechange, le temps des relations spéciales avec les Etats-Unis étant révolu comme est périmée l’époque du Commonwealth. Il connaît aussi les bienfaits que retire son pays de son appartenance à l’UE. Personne ne conteste en particulier que l’existence du marché unique ne soit l’un de ses principaux atouts pour attirer les investisseurs étrangers. Si Londres veut jouer un rôle sur la scène internationale, l’Europe demeure l’un de ses plus puissants leviers.

En vérité, ce que souhaite David Cameron, ce n’est pas que la Grande-Bretagne quitte l’UE mais que soient redéfinis les liens qui les unissent. Il entend rééquilibrer leurs pouvoirs respectifs en rapatriant certaines des compétences aujourd’hui dévolues à l’Europe et en négociant avec ses partenaires une Union plus conforme à ses vœux. Il ne dit pas encore dans quels domaines il demande des changements mais il est logique avec lui-même en s’élevant une fois de plus contre l’excès des réglementations européennes. Après tout, en refusant d’entrer dans la zone euro puis dans l’espace Schengen, en obtenant des clauses d’exemptions en matière de politique sociale ou de coopération judiciaire, la Grande-Bretagne a déjà montré que l’Europe, pour elle, est d’abord un grand marché.

On peut juger préoccupante la démarche de David Cameron et redouter qu’elle n’affaiblisse l’Europe. Mais on peut également comprendre que les Britanniques soient désireux de relancer la réflexion sur les relations entre les Etats membres et l’Union européenne au moment où celle-ci s’interroge sur un possible « bond fédéral ». Les idées franco-allemandes sur une intégration accrue de la zone euro ont aussi de quoi inquiéter la Grande-Bretagne, qui n’en est pas membre et court donc le risque d’être marginalisée. Il est nécessaire que s’ouvre une discussion entre les Européens. L’initiative du premier ministre britannique peut avoir pour effet positif de les inciter à préciser leur vision de l’Europe.

Reste que les termes du référendum promis mécontentent à juste titre les pro-européens britanniques. On va demander au peuple, soulignent-ils, de choisir entre une Europe minimale et la sortie de l’Europe. Que pourront répondre ceux qui ne veulent ni de l’une ni de l’autre solution ?