Mitt Romney, les atouts d’un homme d’affaires

A moins de quatre mois des élections aux États-Unis, nous publions chaque semaine la chronique de Dick Howard, professeur de philosophie politique à la Stony Brook University dans l’Etat de New-York.

La réunion annuelle de l’Association nationale pour l’avancement des gens de couleur (NAACP) aurait pu être un des lieux d’où pouvait sortir un mouvement social capable de faire face au pouvoir des Super-Pacs Républicains. Mais c’est le discours de Mitt Romney qui y a attiré l’attention du public. Cet intérêt s’explique par le fait que ce discours ne s’adressait nullement aux adhérents de l’association. Ceux-ci voteront à plus de 90% pour Obama. Le fait que Romney ait accepté l’invitation de la NAACP devait d’abord montrer aux électeurs indépendants qu’il était prêt à défendre ses idées devant tous les publics. Mais le vrai public auquel il s’adressait était la base de son propre parti. Qu’il ait défendu des idées très conservatrices, et surtout qu’il ait dénoncé nominativement « Obamacare » devait montrer que — contrairement à sa réputation d’être une girouette guidée par les vents du moment — il est un homme de conviction, prêt à défendre ses croyances même dans l’antre du lion.

La voix de l’électeur indépendant

Le problème de Mitt Romney n’est pas sa base — qui ne va certainement pas voter Obama ; son problème, c’est l’électeur indépendant. Pour s’assurer de ces voix-là l’atout majeur de Romney, c’est son expérience d’homme d’affaires. Sa fortune lui a permis de prendre sa retraite très tôt pour se consacrer d’abord au sauvetage des J.O. de Salt Lake City en 2000, puis de se faire élire gouverneur du Massachussetts en 2002, avant de se présenter aux primaires Républicaines en 2008. Mais Romney ne met pas en avant son expérience dans le domaine public ; il se focalise sur l’économie, dénonçant l’incapacité du gouvernement Obama face aux effets de la grande crise de 2008. Comme Ronald Reagan, il répète la question rhétorique : « est-ce que vous allez mieux qu’il y a quatre ans ? ». Et, il faut l’avouer, le camp Obama n’a pas à cela de réponse toute faite.

Cette faiblesse explique qu’au lieu de se cantonner à défendre son action, Barack Obama passe à l’offensive. Comme le disait une analyse parue dans le New York Times du 13 juillet, à la critique des quatre dernières années faite par Romney, Obama oppose une critique des quatorze dernières années… à savoir, des pratiques de l’homme d’affaires Romney.

Présenter ou non sa feuille d’impôt

Et les coups pleuvent. Romney serait le pionnier de la délocalisation du travail ; en rachetant à crédit des entreprises, il devait finir par licencier du personnel ou bien accepter la faillite de celles-ci. D’autre part, on l’accuse de détenir des comptes en banque en Suisse et dans des paradis fiscaux comme les îles Caïman. Enfin, pourquoi refuse-t-il de suivre la tradition selon laquelle le candidat rend public ses feuilles d’impôt des dix dernières années (ce sur quoi avait insisté son propre père quand il était candidat en 1968). Bien sûr, Romney se défend, mais le mal est fait — car ce qui est en jeu dans cette politique, ce n’est pas la vérité, c’est la perception. 

Il ne reste qu’une option à Mitt Romney : c’est de changer de sujet — ce qui était l’un des buts du discours de Houston devant la NAACP. Peut-être jouera-t-il quitte ou double en annonçant le choix de son colistier plus tôt que prévu… Ou bien laissera-t-il fuiter quelques noms. Ainsi a-t-on pu lire sur un site web connu (le « Drudge Report ») que Romney penserait nommer Condoleezza Rice comme candidate à la vice-présidence. Bien que ce soit peu vraisemblable — Mme Rice est une « libérale » sur les questions de mœurs, elle est trop identifiée avec le gouvernement Bush et la guerre en Irak…— les journalistes sérieux se sont sentis obligés de répandre (et d’analyser) la rumeur. On évoque aussi la candidature de Tim Pawlenty, ancien gouverneur de Minnesota, dont le père était un simple camionneur et qui a dû faire ses études dans une université publique. Toutefois, comme le Minnesota vote Démocrate depuis 40 ans, sa candidature ne serait pas électoralement payante.

La tactique d’Obama consiste à coller une étiquette négative à son opposant. Elle semble marcher. Mais nous sommes à près de quatre mois des élections de novembre. Obama ne peut pas en rester là. L’article du New York Times du 13 juillet cité plus haut attire l’attention sur le slogan de la campagne d’Obama. On y trouve un seul mot : « Forward » (« en avant »), suivi non pas par un point d’exclamation mais par un simple point. Le candidat du « Yes we can » de 2008 met-il implicitement de l’eau dans son vin ? Question à suivre, qui reste pour l’instant sans réponse.

Individualisme et communautarisme, une synthèse dialectique  

En attendant, il n’est pas inutile de lire le livre d’E.J. Dionne, Our Divided Political Heart, qui propose une sorte de synthèse dialectique mettant en contexte les lignes de clivage politique actuelles définies d’une part par le « Tea Party » et d’autre part par « Occupy Wall Street ». Ces deux mouvances ne seraient que les derniers avatars d’un conflit jalonnant l’histoire américaine que l’auteur reconstruit d’une plume sûre. « Synthèse dialectique » parce que le livre montre que les racines de ces deux mouvances actuelles — en un mot, l’individualisme et le communautarisme — non seulement se retrouvent mais se renforcent mutuellement à travers toute l’histoire nationale. Redécouvrir cette histoire ne mettra pas fin aux désaccords mais aidera à retrouver un rapport fécond où le bien commun est enrichi par un individualisme qui, à son tour, est soutenu par sa participation dans la communauté nationale.