Naissance d’un nouveau populisme

Dans de nombreux pays d’Europe se développent des courants xénophobes qui diffusent leurs idées au sein des partis de droite. Ils ne se limitent pas à l’extrême droite traditionnelle mais empruntent parfois leurs thèmes à la gauche. On ne combattra efficacement cette nouvelle vague populiste qu’en s’attaquant aux causes profondes de son succès

En avril dernier, la Finlande, comme nombre de pays européens récemment, a succombé à la tentation du populisme. C’est l’occasion de réfléchir sur les caractéristiques et les origines de ce mouvement protéiforme, mais aussi sur les perpectives qui s’offrent à lui.

Le parti des Vrais Finlandais de Timo Soini est devenu la 3e force du pays avec 19 % des voix aux élections législatives. Cet exemple apparaît symbolique : d’une part, le nom de ce mouvement laisse clairement entendre des penchants xénophobes et illustre un repli identitaire ; d’autre part, comme dans beaucoup de pays de l’UE, les populistes obtiennent des scores significatifs mais accèdent rarement au pouvoir. Cela leur confère néanmoins un pouvoir de nuisance et de pression.

 

Ils peuvent en effet participer à des gouvernements comme forces d’appoint, comme en Italie (Ligue du Nord) ou en Suisse (Union démocratique du centre), appuyer des gouvernements conservateurs, à l’instar de ceux des Pays-Bas ou du Danemark. Enfin, si on prend le cas de la France sarkozyste ou de l’offensive d’Angela Merkel contre le modèle allemand “multikulti”, leurs idées peuvent influencer des partis de droite, qui tentent de chasser sur leurs terres.

 

Un nationalisme antieuropéen

 

 Pour autant, il serait réducteur d’assimiler le néo-populisme actuel à une extrême droite européenne renaissante, C’est peut-être le cas en Europe de l’Est, où la rhétorique antisémite et xénophobe a repris des couleurs, par exemple en Hongrie. Mais ailleurs, il peut tout aussi bien avoir des accents protectionnistes de gauche et s’adresser aux catégories sociales défavorisées victimes de la mondialisation. Car il existe un plus petit dénominateur commun entre tous ces partis : le nationalisme antieuropéen (ou eurosceptique). C’est ce qui explique par exemple le non français à la constitution européenne : le chiffon rouge du “plombier polonais” a été agité aussi bien par une extrême gauche dénonçant la dérive néolibérale de l’UE que par une extrême droite réclamant la préférence nationale pour les travailleurs français.

 

 Dominique Reynié, dans son livre Populismes : la pente fatale, a recensé pas moins de 27 partis populistes dans 18 pays européens. Loin du poujadisme d’antan et de ses slogans (“Tous pourris” “Sortez les sortants” ), on aurait aujourd’hui affaire à une nouvelle vague populiste, de caractère “patrimonial” (4e vague après celle de l’après-guerre, des années 1960 et des années 1980) : elle se manifesterait par la défense conservatrice et virulente d’un patrimoine matériel (niveau de vie, emploi, pression fiscale) remis en cause par la globalisation.. Mais elle se doublerait de la crainte de perdre un patrimoine immatériel (style de vie, attachement aux valeurs libérales, que ce soit en matière de relations hommes-femmes ou d’inclination sexuelle), menacé par l’immigration et l’islam depuis la prise de conscience du 11 septembre.

 

Une civilisation européenne en danger

 

Dans ce contexte, les leaders populistes, jeunes et pragmatiques, appliquent souvent les mêmes recettes : comme Marine Le Pen pour le Front National en France, ils ont tendance à s’éloigner de leurs racines idéologiques pour s’approprier le thème de la laïcité, voire revendiquer des valeurs de tolérance et de liberté, qu’ils présentent comme le fonds commun d’ une civilisation européenne “en danger”. Parallèlement, ils stigmatisent des immigrés décrits comme intolérants (d’où une logique de “légitime défense”) et impossibles à intégrer en raison de leur différence culturelle.

 

La crise récente depuis 2008 renforce évidemment la recherche de boucs émissaires. Non contents de flatter les plus bas instincts du peuple et de favoriser ainsi le réflexe de “petits Blancs” à la recherche d’une restauration de leur honneur “ethnique”, les populistes profitent aussi de la colère populaire contre les gouvernements en place ou les élites politico-médiatiques en général, en exagérant l’autonomie du peuple (d’où l’appel à une démocratie directe plutôt que représentative).

 

 

S’attaquer aux causes profondes

 

Historiquement, dans l’Athènes antique, le populisme (ou la démagogie) apparaissait comme une dégradation de la démocratie, l’équivalent de la tyrannie pour la monarchie par exemple. Nous voilà sans doute au coeur du problème. Pour un auteur comme Emmanuel Todd (cf. Après la démocratie), souvent visionnaire mais aussi marginalisé, on ne saurait comprendre la montée du populisme en France et en Europe sans la relier à la dérive oligarchique qui affecte les démocraties actuelles, au moment où les classes “supérieures” se coupent du reste de la société, financièrement (grands patrons ou traders) et/ou intellectuellement (cadres et professions assimilées), sans oublier le personnel politique.

 

Ainsi ce sont les classes moyennes supérieures, fortement éduquées mais en voie d’appauvrissement (les bobos ?), qui détiennent sans doute la clé des évolutions politiques en cours. Si leur crainte de déclassement individuel rejoint la crainte de déclassement collectif (ou la hantise du déclin) qui touche (par cycles) tout le Vieux Continent, actuellement en stagnation économique et démographique, le populisme a de beaux jours devant lui.

 

  Pour éviter le double écueil d’une ethnicisation ou d’un retour violent de la lutte des classes dans leurs sociétés respectives, les politiques au pouvoir doivent accepter non pas de récupérer cyniquement ses thèmes (tout en condamnant ses thèses), mais de s’attaquer aux causes profondes de son succès. De nouveaux concepts comme la “démondialisation” ou un “protectionnisme européen” raisonné seront-ils de réels principes pour l’action, ou ne constitueront-ils qu’une mode passagère balayée d’un revers de la main par ceux qui nous gouvernent ? La vogue du néo-populisme semble en tout cas indiquer que les Européens restent attachés à des Etats forts et protecteurs, qui les rassurent et leur offrent des garanties face à la redoutable concurrence des pays émergents.