Obama et les Démocrates défendent l’Etat social

Chaque semaine, Dick Howard, professeur émérite à la Sony University de New York commente la campagne pour l’élection présidentielle du 6 novembre. Après la convention Républicaine de Tampa (Floride), ce sont les Démocrates qui sont réunis à Charlotte (Caroline du Nord). Le discours de Barack Obama devrait montrer que les Démocrates entendent défendre le rôle social de l’Etat contre leurs adversaires Républicains.

La convention Démocrate devait ouvrir ses portes, mardi 4 septembre au soir. La semaine passée avait eu lieu la convention Républicaine et malgré l’âpreté de la campagne et la distance qui sépare les candidats, Mitt Romney a reconnu qu’il fallait amadouer des citoyens qui étaient tombé follement amoureux du candidat Obama en 2008. Son discours devait montrer qu’il avait compris cette passion populaire, mais qu’elle était vouée à l’échec. « Le président Obama, a-t-il dit, a promis de commencer à ralentir la montée des océans et de guérir la planète. Ma promesse est de vous aider, vous et votre famille. ». Mais le candidat n’a pas expliqué plus avant son programme. La tonalité avait été donnée par les attaques tous azimuts dirigées par Paul Ryan, le candidat à la vice-présidence, et secondées par d’autres hautes figures du parti. À cet égard, deux choses sont à souligner. D’une part, le discours de Paul Ryan — réputé pour son sérieux en matière budgétaire et fiscale — a étonné les commentateurs. Pour le bien de la cause, il était prêt à faire parler aux chiffres économiques un langage qui ne leur était pas usuel — autrement dit, il prenait des libertés avec les faits. Cela n’est pas passé inaperçu, et les Démocrates vont en faire leur miel. D’autre part, on pouvait déceler dans les discours d’autres jeunes loups qui soutenaient ostensiblement Romney une sorte d’attentisme qui consistait à le considérer comme un candidat de transition voué à perdre en 2012 pour faire place à un parti Républicain purifié qui n’attendrait qu’un tel jeune loup pour le représenter triomphalement en 2016 ! Or, dans ce cas de figure, Paul Ryan risque d’être relégué à une préretraite après les élections de novembre face à la montée de personnalités telles que Chris Christie, Marco Rubio, Susannah Martinez… voire la grande surprise de la convention : Condoleezza Rice.

La balle passe maintenant dans le camp des Démocrates. Ils vont devoir trouver les thèmes qui vont exciter leurs militants — et encourager les électeurs à rester fidèles à celui qui les a séduits en 2008. Or avec un taux de chômage de 8,2%, le président aura du mal à défendre sa politique économique ; il ne pourra pas entonner la demande traditionnelle de « quatre années de plus » pour accomplir sa mission. Pourtant, il y a un domaine où Barack Obama peut se prévaloir de résultats positifs, c’est la politique étrangère — habituellement un domaine de prédilection des Républicains, mais qui n’a pas été mis en avant lors de la convention. 

Pour sa part, Obama a tenu sa promesse de mettre fin à l’engagement militaire en Irak ; il est en train de retirer les troupes de l’Afghanistan ; Ben Laden est bien mort, le Printemps arabe a créé des espoirs au Proche 0rient, et Hillary Clinton se trouve actuellement en Chine pour mettre en œuvre le « pivotement » vers l’Asie. On ne peut pas prétendre que tout va bien dans le meilleur des mondes possibles, mais le bilan est plus que globalement positif.[1]

La responsabilité des Républicains dans la crise

On sait pourtant que les élections américaines ne tournent presque jamais autour de la politique étrangère. Les Démocrates vont devoir justifier leur politique intérieure et leur vision d’un avenir « post-crise ». Le président Barack Obama se trouve ainsi d’une manière paradoxale dans la situation typique d’un challengeur : la logique de sa situation lui impose d’attribuer les difficultés actuelles au parti Républicain ! La chose n’est pas difficile. En effet, la présidence Obama a été marquée dès le début par la résistance tenace et féroce des Républicains, un refus renforcé depuis les élections de mi-mandat en 2010. Toutes les réussites du président — qu’il s’agisse des mesures anticrise ou de la réforme des assurances santé qu’on appelle « Obamacare » — furent ou bien votées par le seul parti Démocrate ou bien furent le résultat de compromis imposés par la résistance Républicaine. La gauche n’a pas tort de critiquer la naïveté post-partisane d’Obama qui a fini par avaler beaucoup de couleuvres après avoir cru à une entente possible entre Démocrates et Républicains. Néanmoins, les Démocrates réunis à Charlotte (Caroline du Nord) se chargeront de faire porter la responsabilité de la persistance de la crise aux Républicains. Et ils n’auront pas tort.

Ils mettront en œuvre l’idée que la meilleure défense, c’est l’attaque. Mais au delà de la rhétorique, renforcée par la tactique, Barack Obama et son parti vont proposer des mesures positives.

Etat providence contre main invisible

Il y a un enjeu fiscal d’importance dont le poids symbolique dépasse l’incidence économique. La réduction massive des impôts votée par le gouvernement Bush vient à expiration le 1er janvier 2013. Les Républicains veulent la prolonger, sous prétexte que son expiration équivaut à une augmentation d’impôts. Obama proposera de revenir au barème établi dans les temps prospères de Clinton pour les revenus dépassant 250,000 dollars. Obama en fera une affaire de principe que l’aile intransigeante des Républicains, encouragée par le choix de Paul Ryan, contestera volontiers. Cela pourrait donner lieu à un vrai débat qui ferait peut-être décanter les haines qui s’accumulent depuis un certain temps. D’une part, les enragés anti-Etat veulent faire croire qu’une fois le marché libéré du poids de l’Etat, la croissance reviendra et le déficit disparaîtra sans qu’on ait à augmenter les impôts. Cette théologie négative avec son appel à une « main invisible » ramènerait le pays en deçà des conquêtes sociales du New Deal. 

À l’opposé, le parti Démocrate veillera pendant les trois jours de sa convention à souligner les contributions des institutions politiques, sociales et communautaires qui sont la condition de la possibilité d’une vie individuelle riche dans tous les sens du mot. À l’opposé de l’individualisme forcené des disciples d’Ayn Rand, ils essayeront d’ouvrir les voies d’un au-delà du New Deal, redonnant vie aux espoirs qui avaient poussé le jeune Barack Obama à devenir « community organizer » à Chicago. En un mot, ils opposeront à l’antipolitique du marché une vision concrète de ce que peut faire une vraie activité politique.

Mais la convention n’est pas une réunion de philosophes. Les grands discours commencent mardi avec l’intervention de Michelle Obama, suivie par Julian Castro, le jeune et dynamique maire de San Antonio ; la première pour témoigner du « caractère » du président, le second pour faire appel aux électeurs hispaniques dont les voix peuvent être déterminantes. Mercredi offre l’occasion de donner corps à un gouvernement qui protège et nourrit l’espace communautaire avec le discours d’Elizabeth Warren, candidate au sénat du Massachussetts et défenseur des petits épargnants contre les banques géantes, suivie par Bill Clinton dont les années au pouvoir apparaissent comme le paradis perdu. Enfin, la convention se terminera jeudi avec le discours du vice-président Biden, suivi par celui de Barack Obama. Figure aussi au programme de jeudi John Kerry, candidat malheureux en 2004 —proposé par beaucoup pour remplacer Hillary Clinton comme secrétaire d’Etat en 2013… ce qui est peut-être une preuve que la politique étrangère jouera un rôle inhabituel en 2012 !

 

[1] A propos de la politique étrangère d’Obama, des tensions au sein de son équipe, et du rôle actif du président dans les décisions, voir James Mann, The Obamians. The Struggle Inside the White House to Redefine American Power (New York, 2012). Des critiques viennent surtout de la gauche du parti, touchant par exemple le fait que la prison de Guantanamo n’a pas été fermée, que des procès civils n’ont pas eu lieu, et — question importante — que l’emploi de drones devient une quasi-habitude du gouvernement, qui évite ainsi un débat sur sa politique militaire.