Pour une majorité des Américains, les premiers cent jours d’Obama ont été un sans-faute. Pour d’autres, toutefois, il a fait le jeu des intérêts bancaires, sauvant la mise des grands et laissant des miettes aux petits (propriétaires incapables de payer leurs hypothèques, salariés de l’automobile...). Pour les Républicains purs et durs, c’est un « socialiste » qui veut nationaliser les banques sous prétexte de les sauver.
C’est sur un autre choix que le président sera bientôt jugé : celui d’un nouveau juge à la Cour suprême, la plus haute autorité judiciaire du pays. Celui — ou plutôt celle — qui sera désigné siégera à vie et laissera sa marque sur le quotidien de l’Amérique. On peut être sûr que le ou la nominé devrait être assez jeune.
On s’attend à la nomination d’une femme, mais laquelle ? Barack Obama aura l’embarras du choix, ce qui ne fut pas le cas, en 1981, lorsque Ronald Reagan nomma la première femme à cette haute fonction.
Faut-il désigner une Noire ? Elles sont nombreuses. Une Hispanique ? Il n’en manque pas non plus. Mais l’appartenance communautaire n’est qu’un facteur. Après tout, il ne s’agit pas de gratifier les uns ou les autres. La Cour est l’une des trois branches indépendantes du gouvernement. Elle doit être au-dessus des intérêts particuliers.
La Cour actuelle est composée de juristes, issus des universités d’élite, sans expérience politique. Ce ne fut pas toujours le cas ; beaucoup des meilleurs juristes venaient de la politique ou des cabinets d’affaires. Or, au fur et à mesure que le droit est devenu un enjeu politique, ce sont les cours d’appel et les universités qui ont fourni des candidats à la haute juridiction, ce qui donne l’illusion d’une sorte de neutralité. Cela explique que plusieurs des candidates potentielles sont d’éminentes juristes, voire des professeurs de droit.
Or, Barack Obama a plusieurs fois répété qu’il nommerait des juges capables de comprendre quelqu’un qui est vulnérable ou désavantagé. Va-t-il donc chercher une politique ? Deux gouverneures feraient bien l’affaire, surtout celle du Michigan, Jennifer Grandholm, mais où serait la prétendue neutralité ?
Le climat « post-racial » dans lequel Barack Obama a été élu signifie que nous sortons de « la guerre culturelle » qui envenimait les débats. Les uns souhaitaient un juriste favorable, par exemple, à l’abolition de l’IVG, les autres au mariage homosexuel.
Le débat porte, aujourd’hui, sur le rôle de la Cour en tant qu’institution. Doit-elle se limiter à l’application des principes « originaires » de la Constitution ? Ou regarder celle-ci comme un « document vivant » qui réagit aux changements dans la société ? Adopter la doctrine originaire pourrait retarder, voire faire reculer le progrès social ; prétendre suivre l’évolution sociale risquerait d’aller trop vite.
Obama est un pragmatique. Il sait qu’il aura deux autres nominations à faire pour remplacer un juge de 89 ans, et une autre de 75. Comme ceux qu’il désigne marqueront la vie américaine au-delà des quatre (ou huit) années de sa présidence, il cherchera quelqu’un qui lui ressemble par son caractère, son tempérament et sa capacité à juger.
Alors que la situation économique impose de réelles contraintes, ce choix est de tactique politique. Homme politique et ancien professeur de droit constitutionnel, Obama respectera l’autonomie judiciaire, ce que l’un des juges actuels, Stephan Breyer, appelle, dans un livre récent, « la liberté active ». Autrement dit, la femme qu’il désignera représentera son sosie. L’image qu’il a de lui-même !