Obama : le tournant

Le rêve a-t-il disparu face à la dure réalité ? Pour la première fois depuis son installation à la Maison Blanche, en janvier 2009, le président américain voit sa cote tomber à moins de 50 % d’opinions favorables dans le dernier sondage Gallup. Article paru dans Ouest-France le mardi 24 novembre 2009. Dick Howard est professeur à Stony Brook University, New York. Auteur de Aux origines de la pensée politique américaine (Pluriel). 

Revenons en arrière. Un mois après son installation (le 24 février), Barack Obama soulignait, dans un discours diffusé dans tout le pays, la gravité du défi économique, écologique et social que devait relever son gouvernement. La crise devait être le levier d’une réforme de grande ampleur. Il avait expliqué, dès la campagne électorale, que la crise supposait une augmentation d’impôts pour les 5 % les plus riches de la population, en partie en supprimant, en 2010, les deux réductions massives d’impôts du gouvernement Bush, en partie en instituant de nouvelles taxes sur les fonds spéculatifs, enfin en réduisant les coûts de l’occupation en Irak. Obama a dénoncé, à plusieurs reprises, le fossé entre les riches et le reste de la population, qui a atteint une profondeur jamais vue depuis 1928, à la veille du grand krach de Wall Street. Les plus riches (1 % de la population) possèdent, comme en 1928, 21,8 % de la richesse nationale.

L’appel d’Obama à une politique au-dessus des partis a été brutalement rejeté par les républicains. Leur politique du « non » a pour base un appel populiste entretenu par des talk show radiophoniques et des commentateurs des stations de télévision câblée. Ils demandent : « Pourquoi nous devrions, « nous », sauver les banquiers, les spéculateurs de la finance, l’industrie automobile ? » En oubliant que le Parti républicain a été au pouvoir pendant les huit années précédentes.

Lorsque les républicains attaquèrent, l’été dernier, le projet de réforme du système de santé, l’absence de réponse du Président lui a fait perdre des appuis. Ensuite, au lieu d’évoquer une question de justice ou d’impératifs moraux, il a choisi de vendre la réforme à chaque groupe d’intérêt, l’un après l’autre. Les lobbies se sentirent, dès lors, autorisés à défendre leur propre cause.

En novembre, le prix Nobel de la paix a été un cadeau empoisonné pour un Barack Obama prêt, à ce moment-là, à accroître éventuellement le nombre de soldats en Afghanistan, et qui n’avait guère de résultats de paix à offrir ailleurs.

Une des racines de la victoire d’Obama a tenu à sa prise de position contre la guerre d’Irak, mettant, au contraire, l’Afghanistan au coeur de la lutte contre le terrorisme. Or, début novembre, il a dit réfléchir à la demande du général McCrystal d’envoyer de nouvelles troupes. Ce n’est pas par hasard que ce projet fut ébruité dans les médias, sans doute grâce au général, déclenchant une vague de polémiques.

La question aujourd’hui est : Obama peut-il demeurer Obama ? Ses cent premiers jours lui ont valu un succès d’estime, mais peu de réalisations politiques. Avant les élections de mi-mandat, qui verront le renouvellement de la Chambre entière et d’un tiers du Sénat, descendra-t-il de son piédestal pour entrer dans l’arène électoraliste ? Ou bien gardera-t-il son autorité morale aux dépens de l’efficacité politique immédiate ? Après le « Yes, we can » (oui, nous pouvons), qui le fit élire en 2008, il doit maintenant donner un contenu de « ce que nous pouvons ». Le premier test sera la réforme du système de santé, qui occupera le Congrès jusqu’au Nouvel an. Est-ce que le Président saura faire passer la solidarité citoyenne du « nous » avant l’appel aux intérêts privés ?