Petro Porochenko, l’oligarque de Maidan

Avec environ 54% des suffrages, Petro Porochenko, dit « le roi du chocolat », a été élu président de l’Ukraine. C’est la première fois depuis l’indépendance en 1991 qu’un candidat à la présidence est élu dès le premier tour. Ce succès ne sera pas superflu pour permettre à Petro Porochenko de négocier avec Moscou et tenter de désarmer les milices prorusses. Sa légitimité est cependant écornée par le fait que dans l’est du pays, des électeurs aient été empêché de se rendre aux urnes. Mais pour la première fois aussi, le vote ne manifeste pas une coupure entre l’ouest et l’est. Toute l’Ukraine, là où elle le pouvait, a voté de la même façon. La principale adversaire de Petro Porochenko, l’ancienne premier ministre Ioulia Timochenko, n’a obtenu que 13% des voix. A Kiev, l’ancien boxeur Vitaly Klitschko a été élu maire. (Cet article est aussi paru dans slate.fr)

Le bulldozer de Petro Porochenko deviendra-t-il aussi célèbre que le char de Boris Eltsine ? En août 1991, juché sur un char de l’armée soviétique, le président russe avait défié les putschistes qui voulaient renverser Mikhaïl Gorbatchev. Le dimanche 1er décembre 2013, celui qui vient de remporter l’élection présidentielle en Ukraine, avait grimpé sur un bulldozer et fait face à la foule en colère devant le siège de la police de Kiev. Il avait calmé les manifestants armé d’un seul haut-parleur de plastique jaune.

On le dit colérique, rancunier voire bagarreur. Pendant son service militaire, il se serait battu avec quatre de ses camarades, ce qui lui aurait valu de finir son temps sous les drapeaux dans le lointain Kazakhstan. Le jeune Petro était déjà bon élève mais indiscipliné. Il est né le 26 septembre 1965 à Bohlrad, une bourgade de la région d’Odessa, près de la frontière de la Moldavie. Son père Olexij était directeur général d’une association d’entreprises, Ukrprominvest, dont on dit qu’il fit deux ans de prison pour avoir « volé la propriété d’Etat ». C’était au temps de l’Union soviétique. Le fils termine ses études supérieures de droit et d’économie à l’université de Kiev quand l’URSS est en voie de dissolution.

Petit entrepreneur

Comme nombre de ses condisciples à l’époque, il devient petit entrepreneur et se lance dans le commerce des fèves de chocolat. Il achète ou crée des usines de confiserie à Vynnitsa en Ukraine, à Lipetsk dans le sud-ouest de la Russie, à Klaïpeda en Lituanie et à Budapest. Sa fortune est faite et son surnom tout trouvé. Il devient le « roi du chocolat ». Sa marque Roshen aurait été inventée par sa femme, Marina, en supprimant la première et la dernière syllabe de son nom Pro-roshen-ko (dans la transcription anglo-saxonne). Roshen est classée 18ème dans la liste des cent plus grands fabricants de chocolat du monde. Quand Vladimir Poutine a voulu faire pression sur l’Ukraine pour qu’elle refuse de signer l’accord d’association avec l’Union européenne, à l’automne 2013, il a commencé par interdire l’importation des confiseries Roshen en Russie et par fermer l’usine de Lipetsk. Les Russes ont en outre confisqué ses deux comptes bancaires en Russie, pour un montant de 53 millions d’euros.

C’est évidemment peu comparé au 1,3 milliard d’euros que pèse Petro Porochenko, ce qui en fait un des hommes les plus riches de son pays. Outre le chocolat, il a investi dans la production d’automobiles et d’autobus, et dans les médias avec la chaine de télévision 5ème Kanal et le magazine Korrespondent. Il affirme avoir gagné son argent par son travail et se défend d’être un oligarque, c’est-à-dire, selon sa définition, « quelqu’un qui aspire au pouvoir pour s’enrichir ». Il s’est engagé à vendre toutes ses entreprises s’il est élu.

De tous les partis

Il n’empêche que son ascension économique a été de pair avec sa carrière politique. Il a été de tous les partis, ce que ses adversaires décrivent comme un signe d’opportunisme, et ses amis comme une marque de fidélité à ses idées. Une constante en effet : Petro Porochenko a toujours été favorable à un rapprochement entre l’Ukraine et l’UE. En 1998, il est député du Parti social-démocrate unifié qui soutient le président Leonid Koutchma. En 2000, il crée son propre mouvement Solidarité pour, un an plus tard, participer à la fondation du Parti des régions mais il se détourne de Koutchma pour se rapprocher de Viktor Iouchtchenko, qui est le parrain de ses jumelles. En 2002, il est président de la commission du budget à la Rada (le parlement). Deux ans passent et il finance la candidature de Iouchtchenko à l’élection présidentielle et soutient de ses deniers la « révolution orange », ce mouvement populaire qui proteste contre les fraudes électorales, force l’organisation d’un troisième tour et obtient la victoire du pro-occidental Viktor Iouchtchenko sur le pro-russe Viktor Ianoukovitch.

Petro Porochenko est récompensé en devenant secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense. En septembre 2005, il est soupçonné dans une affaire de corruption immobilière à propos d’une construction dans un parc du centre de Kiev. Le procureur classe l’affaire mais il perd son poste. L’année suivante, il revient à la Rada comme président de la Commission des finances et des banques puis comme président du Conseil de la banque d’Ukraine. L’arrivée au pouvoir de Viktor Ianoukovitch ne met pas fin à sa carrière. Au contraire Porochenko est nommé ministre des affaires étrangères en octobre 2009. Il reste un an à ce poste avant de passer au ministère du commerce et du développement économique pour, dit-il, « travailler au rapprochement de l’Ukraine avec l’UE ». Le jour où il entre au ministère, Ianoukovitch envoie la police perquisitionner dans son usine de Vynnitsa. Un avertissement sans frais.

Redevenu député en 2013 à la Commission pour l’intégration européenne, il doit abandonner ses fonctions ministérielles. C’est une chance. Quand les Ukrainiens descendent dans la rue pour protester contre la politique de Ianoukovitch, il n’a plus aucune fonction gouvernementale. Il est le premier oligarque à se rallier au mouvement Euromaidan et à le soutenir financièrement. Sa chaine de télévision 5ème Kanal est la seule à offrir une information sympathique aux manifestants alors que les chaines publiques déversent la propagande officielle. En même temps, Petro Porochenko reste discret. Il ne campe pas sur Maidan comme d’autres aspirants au leadership. Ce qui ne l’empêchera pas d’aller en Crimée avant l’annexion ou d’être un des premiers à se rendre à Odessa après la tragédie qui a coûté la vie à une quarantaine de personnes dans l’incendie du bâtiment des syndicats.

Des amitiés contestées

Outre ses volte-face partisanes, ses adversaires mettent en cause ses liens avec Dmitro Firtach, un oligarque du pétrole et du gaz, réfugié à Vienne, qui passe pour être proche de Vladimir Poutine et qui est sous le coup d’un mandat d’arrêt américain pour corruption. C’est chez Firtach, dans la capitale autrichienne, que se serait conclu l’accord entre Viktor Porochenko et Vitaly Klitschko destiné à ne pas diviser les forces de Maidan : au premier la présidence de l’Ukraine, au second la mairie de Kiev. Ioulia Timochenko, l’égérie déchue de la « révolution orange » accuse Porochenko d’appartenir à la 5ème colonne de Moscou en Ukraine.

Avant la crise, le nouveau président ukrainien faisait 40% de ses affaires avec la Russie avec laquelle il a des liens aussi culturels. Orthodoxe obéissant au patriarcat de Moscou (par opposition au patriarcat de Kiev), il a participé à de nombreuses réunions dans des monastères de l’autre côté de la frontière. La propagande russe, qui a montré à la fois sa puissance et son simplisme dans la crise ukrainienne, ne l’a pourtant pas épargné. Un film montré à la télévision russe a affirmé que Porochenko avait financé les snipers qui ont fait une centaine de morts à Maidan. Qu’il a construit son empire du chocolat en confisquant d’anciennes usines soviétiques et que ses bonbons contiennent des substances cancérigènes. Qu’il a « acheté » Klitschko pour que le boxeur ne se présente pas à l’élection présidentielle. Qu’il a contribué à radicaliser le mouvement Euromaidan afin d’accéder au pouvoir avec l’aide de l’extrême-droite. Et dernière pointe d’antisémitisme, que son père, d’origine juive, aurait été assassiné. Son père ne se serait pas appelé Porochenko mais en réalité Walzman et aurait pris le nom de sa femme au moment de son mariage. Vraie ou fausse la rumeur a pour but de déconsidérer Porochenko dans les milieux les plus nationalistes d’Ukraine occidentale. La manœuvre a fait long feu.

Entre les déchus du pouvoir précédent, les anciens leaders de la « révolution orange » qui ont contribué à la ruine de l’Ukraine et ceux qui ont signé le 21 février avec Ianoukovitch un compromis rejeté par la foule de Maidan, Petro Porochenko a réussi le miracle d’apparaître comme un homme nouveau. La simplicité même de son programme a séduit : faire pour l’Ukraine ce qu’il a réussi pour son entreprise. Les Ukrainiens estiment avoir été trompés deux fois : en 1991, ils ont échangé l’indépendance contre un système postsoviétique ; en 2004, la « révolution orange » a été confisquée par l’alliance entre les politiques et les oligarques. Ils se sont promis cette fois, notamment les jeunes, d’être vigilants.