Pourquoi l’Amérique résiste à la réforme

Les Européens, et singulièrement les Français, s’étonnent de la résistance mobilisée par la droite du Parti républicain contre les timides propositions de réforme du système des assurances santé aux États-Unis. Pourquoi Barack Obama n’affirme-t-il pas son autorité, alors que le Parti démocrate - son parti - détient une forte majorité au Congrès ? Article de Dick Howard, professeur à la Stony Brook University de New York, paru dans Ouest-France (7 octobre 2009).

Les difficultés actuelles du président américain tiennent à la même source qui a fait sa force : il incarne l’image que les Américains se donnent (ou voudraient se donner) d’eux-mêmes. Ses grands discours confondent sa biographie personnelle et l’histoire d’un pays en train de réaliser son destin. Or, l’histoire américaine a deux faces : d’un côté, une vision individualiste et optimiste, tournée vers l’avenir ; de l’autre, l’angoisse d’hommes et de femmes livrés à un futur inconnu.

Comme le détail de la réforme proposée dépasse le commun des mortels, le public a perdu le nord. Ce qu’il comprend, par réflexe quasi atavique, est que l’on veut lui imposer une « option publique » pour financer l’assurance santé de 46 millions d’Américains qui n’en ont pas. Or, « publique » veut dire gouvernementale, ce qui éveille des soupçons dans un pays dont la Déclaration d’Indépendance (1776) affirmait le droit « inaliénable » à « la recherche du bonheur ». Le Parti républicain et une partie de l’opinion y voient un premier pas vers la dictature de Big Brother, figure totalitaire du roman d’Orwell, 1984.

Ces soupçons ne reposent pas sur rien. L’aile gauche du Parti démocrate, majoritaire, relie cette réforme à la réalisation du New Deal, inauguré par Roosevelt pour faire face à la Grande Dépression de 1929. Cela avive les craintes de la droite, qui y voit le spectre du « socialisme ». Les uns se trompent autant que les autres ; Obama s’en rend compte lorsqu’il affirme sa « préférence » pour l’option publique sans en faire un critère déterminant. Mais cela ne désarme pas l’opposition, qui se chauffe et s’enivre de son propre discours.

Revenons à l’épouvantail qu’est Big Brother. Il représente un paternalisme qui tue cet esprit d’entreprise, qui poursuit ses propres intérêts contre vents et marées. Pourtant, lorsque les spéculateurs mettent leur propre « recherche du bonheur » au-dessus du mien, je serais bien content qu’un gouvernement me défende contre ces rapaces ! Ainsi, Big Brother devrait rétablir les règles permettant une saine concurrence et la recherche du bonheur individuel. C’est cela que Barack Obama veut faire comprendre au public. Big Brother a bien deux faces et ceux qui veulent s’en débarrasser, comme ceux qui lui vouent un culte, ne comprennent pas ce qui fonde la politique américaine.

Barack Obama est, à la fois, un homme politique et un président. L’un s’occupe de la réforme, l’autre veille aux principes. Le président essuie la critique aussi bien de la gauche (qui va finir quand même par voter la réforme) que de la droite (qui va la refuser en bloc). S’il continue de faire miroiter l’espoir d’une politique au-dessus des partis, c’est pour disqualifier, pour des raisons de principes, une droite qui s’arc-boute sur une lecture à sens unique de l’histoire politique du pays.

La présidence Obama ne fait que démarrer. Elle aura à faire face à d’autres oppositions, elle aura à trouver d’autres compromis politiques. Mais les principes sont l’une des deux faces de la politique. Ne les perdons pas de vue lorsqu’il faudra évaluer les compromis qui ne sont pas nécessairement des compromissions.