Préserver la démocratie tunisienne

L’attentat du 18 mars au musée du Bardo à Tunis, qui a entraîné la mort de vingt-trois personnes dont vingt touristes, a provoqué une émotion considérable aussi bien dans ce pays qu’à l’étranger.
Revendiqué par l’organisation « Etat islamique », il a été perpétré par trois hommes armés de fusils mitrailleurs entrés sans encombre dans l’enceinte du musée, qui jouxte le Parlement déserté par ses gardiens.
Citée comme modèle de transition démocratique, initiatrice des « printemps arabes », la Tunisie bénéficie d’une excellente image publique et d’un soutien politique et institutionnel général.
Frontalière de l’Algérie, à l’ouest, et de la Libye, à l’est, la Tunisie ne bénéficie pas des ressources en hydrocarbures qui ont fait la richesse et la puissance – certains diraient le malheur – de ses deux voisins.
La richesse de la Tunisie, c’est son peuple.
Engagée, dès l’indépendance en 1956, dans un processus de laïcisation qui a mis fin à l’influence des religieux sur la justice et la magistrature, la Tunisie a eu pour principale priorité l’éducation, avec la généralisation de l’enseignement obligatoire pour tous. Le Code du statut personnel, instauré dès l’indépendance et remis à jour, a permis l’émancipation juridique des femmes : interdiction de la polygamie, autorisation du divorce, légalisation de l’avortement, égalité juridique.
L’adoption à l’unanimité de la première Constitution démocratique du monde arabe, le 23 janvier 2014, et le déroulement libre et transparent des premières élections législatives et présidentielle au cours du dernier trimestre 2014 ont fait de la Tunisie un modèle envié dans le monde arabe et musulman aussi bien qu’en Afrique.
Premier pays arabe à renverser, par une révolution populaire, un régime autoritaire en janvier 2011, la Tunisie a également été le premier pays de la région à être dirigé – durant la période de transition – par un mouvement islamiste modéré, le parti Ennahda. Celui-ci a joué le jeu démocratique en endossant la Constitution et il a accepté sa défaite aux élections de 2014 pour finalement s’associer à l’actuel gouvernement et lui assurer une majorité confortable.
Mais le chaos en cours en Libye et la paralysie institutionnelle de l’Algérie sont autant de menaces pour ce petit pays de 163 610 km2, peuplé de 11 millions d’habitants. Plus encore, l’économie de la Tunisie, modèle de développement fragile, est fondée sur le secteur du tourisme et de la sous-traitance industrielle. Si bien que de larges parties du territoire, au sud et au centre principalement mais aussi dans les banlieues des grandes villes, sont les laissés-pour-compte du développement du pays.
Depuis la révolution de janvier 2011, l’économie tunisienne est atone. Les investissements étrangers (IDE) sont en attente et des dizaines de milliers de « diplômés-chômeurs » cherchent leur avenir de l’autre côté de la Méditerranée. Plus d’un million de Libyens sont présents en Tunisie et le commerce informel entre les deux pays n’apporte pas le bénéfice nécessaire au développement et à la création d’emplois. Le tourisme, quasiment au point mort durant trois ans, amorçait une timide reprise avant l’attentat du Bardo.
La remarquable manifestation d’unité nationale face à ce drame – le dirigeant d’Ennahda, Rached Ghannouchi, a été l’un des premiers à condamner de manière claire et ferme l’attentat – et le soutien international unanime ne doivent pas masquer la nécessité de faire face aux réalités.
L’armée tunisienne – qui s’est distinguée en se rangeant aux côtés du peuple durant la révolution de 2011 – est faiblement équipée et insuffisamment formée, la police omniprésente durant les années de dictature devrait bénéficier des techniques et des équipements les plus modernes.
Mais plus encore que l’aspect sécuritaire, l’investissement massif dans l’économie est primordial pour assurer la création d’emplois et le développement durable.
L’Union européenne est au premier chef concernée par cet enjeu. La Tunisie a été le premier pays au sud de la Méditerranée à signer un accord de libre-échange avec l’UE, en 1995. En mai 2011, le sommet du G8 à Deauville promettait 22 milliards de dollars sur trois ans. Cette promesse s’est très peu concrétisée.
La responsabilité européenne pour la préservation du « miracle tunisien » est immense.

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