L’un des actes les plus significatifs d’un president américain est la nomination d’un juge à la Cour suprême. Les neufs magistrats, nommés à vie, statuent sur la constitutionnalité des lois votées par le Congrès et les actes de l’éxécutif ; ils peuvent aussi intervenir dans les affaires de toute autre institution gouvernementale. On se souvient que ce fut leur intervention dans le décompte des votes contestés en Floride qui fit de George W. Bush le president des États-Unis en l’an 2000. On imagine donc qu’un président soupèse bien son choix avant de soumettre le nom du candidat au Sénat, qui doit ratifier la nomination. Et que son choix exprime en quelque sorte sa vision de la présidance.
Le public pouvait s’attendre à un grand débat au Sénat lors des auditions qui ont précédé le vote de ratification. Or, il n’en a rien été. Pis, le choix de Sonia Sotomayor (encouragé certainement par la Maison blanche) fut d’en rester aux banalités qu’apprend tout étudiant en première année de droit. “Ma philosophie juridique est simple, affirmait-elle, c’est la fidélité à la loi.” Quelle que soit le sujet abordé, la discrimination positive, l’IVG, la peine de mort, les pouvoirs exécutifs, le port d’armes... sa réponse variait à peine de la ligne établie.
Cette tactique déçoit. Ces auditions sont un moment privilégié où le public réapprend que les lois sont faites par des hommes et des femmes face à un monde qui change ; elles doivent être fondées sur des principes généraux mais ouvertes aux conditions particulières lorsqu’il s’agit de leur application à des situations concrètes. C’est l’essence de la loi dans un pays démocratique.
Techniquement qualifiée
Le rôle du juge est de prévenir l’arbitraire, qu’il s’agisse d’une loi votée par le législatif ou un acte exécutif. Il est le gardien de la Constitution. Est-ce à dire qu’il ne fait qu’ “appliquer” celle-ci de façon mécanique ? Ce n’était pas la conviction du jeune sénateur Obama il y a quelques années, justifiant son vote contre un juge désigné par George W. Bush. Oui, le candidat est techniquement qualifié, mais il manque le facteur le plus important, ”le coeur”. Obama avait promis la nomination d’un candidat qui aurait de l’ “empathie” pour la situation d’autrui. En apprenant la désignation de Mme. Sotomayor, on pensait que le président était passé à l’acte. N’avait-elle pas affirmé jadis qu’ “une femme hispanique avisée” serait souvent plus à même de bien juger qu’un homme blanc ? Le premier président noir démocratiserait ainsi la démocratie américaine.
En soulignant sa “fidelité” à la loi, Mme. Sotomayor aura déjoué les attaques du parti républicain, mais au prix de paraître adopter leur philosophie juridique. Ses réponses pendant trois jours d’auditions rejetaient l’appel au “coeur” du juge ; elles insistait non seulement sur le fait que la constitution est “immuable” mais sur le fait aussi que la justice américaine n’a rien à apprendre de pratiques juridiques étrangères.
Ainsi, six mois après son entrée en fonction, Barack Obama reste un énigme. Dans ses discours, il représente ce que l’Amérique voudrait être ; mais dans la pratique, la moisson reste maigre. On le dit un grand pragmatique, mais parfois cela revient à pratiquer un opportunisme facile, avec une tendance à se positionner au-dessus de la mêlée, faisant des discours et laissant aux autres le travail. Son prochain test le contraindra à déscendre de son empyrée, car la réforme du système de santé ne se fera pas sans sa participation active.