La campagne pour la présidentielle américaine est passée à la vitesse supérieure. Après les primaires et les caucus dans des petits États (Iowa, New Hampshire...) et quelques grands (dont le Michigan), les électeurs se rendus aux urnes dans dix États, le mardi 6 mars.
Depuis 1984, le Super Tuesday est censé couronner le futur porte-drapeau de chaque parti à la présidence. Comme la candidature de Barack Obama à un second mandat est acquise chez les démocrates, l’attention se porte donc exclusivement sur le camp républicain. Un parti de plus en plus monolithique. Autrefois, les républicains avaient leur aile « libérale », surtout dans le Nord-Est. Aujourd’hui, ces « modérés » ont disparu. Pour se distinguer les uns des autres, les candidats conservateurs font du clivage artificiel, soulignent leurs petites différences, sautent sur les inévitables gaffes magnifiées par des médias gourmands. Il en résulte un spectacle désolant qui a fait perdre espoir à plus d’un sympathisant.
De chacun des quatre candidats en lice, on peut dire que ses forces sont aussi des faiblesses. Cela empêche l’émergence d’un candidat unificateur pendant que le parti s’entre-déchire. Au début de la course à la nomination, on pouvait parier sur le triomphe du milliardaire Mitt Romney. Sa force, c’était son expérience d’homme d’affaires ; la preuve, son immense fortune et sa campagne bien huilée. Seulement, la crise a beau être économique ; elle est aussi « morale », vécue comme une « crise de civilisation ». Les citoyens désœuvrés se détournent de la froide logique de l’homme d’affaires. Romney n’arrive pas à s’attacher la majorité conservatrice du parti ; il adopte la rhétorique de la droite, mais on sent que le cœur n’y est pas. Ses gaffes aggravent sa situation. Et son épouse n’arrange rien : elle possède deux Cadillac, signes extérieurs de richesse d’un candidat qui voudrait convaincre qu’il est « comme les autres ».
Cette logique moralisante explique la montée de l’ultraconservateur Rick Santorum. Son succès vient du brouillage de la distinction entre le public et le privé. Comme si la vertu morale pouvait remplacer la délibération publique. Insistant sur des questions dites « sociales », telles l’IVG, la contraception ou les « droits » de l’embryon, Santorum s’attaque aussi aux « méfaits du féminisme » et se veut le défenseur de la famille. Mais quand il dénonce la séparation de l’Eglise et l’État — qui le « rend malade », dit-il —, il dépasse les bornes. Une chose est de défendre des valeurs privées, autre chose est de vouloir les imposer au public. Quant à son programme économique, bien malin qui pourrait le décrire.
Malgré leur peu de chances de remporter la mise, deux autres candidats restent dans la course. Newt Gingrich ne manque pas d’idées. Elles sont souvent farfelues, désorganisées et polémiques ; mais sa rhétorique peut être efficace lors des débats. Enfin, le libertaire Ron Paul cherche moins la victoire que l’occasion de faire connaître son idéologie qui prône, par exemple, le retour à l’étalon or et la lutte contre... l’impérialisme américain.
Après ce Super-Mardi, qui n’est en fait qu’un mini Super-Tuesday (dix scrutins contre vingt-deux en 2008) la bataille va se poursuivre. Une longue série de primaires d’où les leaders républicains aimeraient voir émerger un homme de consensus. Mais la diversité croissante du pays ne se prête pas à une unité de la droite morale : il n’y aura pas d’homme miracle.