Une politique étrangère déterminée par les dynamiques internes

La politique étrangère de la Russie postcommuniste est déterminée par des dynamiques de politique intérieure et non par le sentiment d’humiliation complaisamment mis en avant par des dirigeants et des diplomates occidentaux qui s’aveuglent sur les véritables objectifs du Kremlin. Le texte de Françoise Thom que nous mettons en ligne ci-dessous est issu d’un colloque organisé par l’Institut d’Histoire sociale. Il est publié dans le n°48 de la revue Histoire et Liberté, en librairie à partir du 15 mars.

La Russie qui naît des décombres de l’URSS hérite du siège de l’URSS au Conseil de Sécurité des nations Unies. Elle s’engage à remplir les obligations des traités signés par l’URSS (13 janvier 1992). Cette continuité formelle contraste avec le bouleversement qui s’opère dans la diplomatie russe durant ces premiers mois du régime eltsinien. La cohérence apportée par l’idéologie a disparu. La centralisation existant à l’époque soviétique, grâce à laquelle les diplomates agissaient de manière concertée avec les hommes du KGB et les propagandistes, cette centralisation n’est plus qu’un souvenir. La politique étrangère n’est plus la chasse gardée du maître du Kremlin, comme elle l’était jusqu’à Gorbatchev. Désormais se montrent actifs sur la scène internationale le président et l’administration présidentielle, le MID (Ministère des Affaires Etrangères), la Douma, Gazprom, le SVR (héritier du KGB), les oligarques, les régions. Eltsine est venu tard à la politique étrangère dont il a soigneusement été tenu à l’écart par un Gorbatchev jaloux. Il n’a aucune expérience. Le nouveau ministre russe des affaires étrangères Kozyrev, a été patronné par le favori du moment Bourboulis. Il est mal accepté par l’establishment du MID et détesté par les députés communistes de la Douma. Kozyrev ne dispose d’aucun appui dans les autres administrations d’Etat. Il n’est pas de taille à coordonner la politique étrangère avec les « siloviki ». Plus encore que sous Gorbatchev, la politique étrangère est l’otage de la crise politique intérieure.

Le débat autour de la politique étrangère : les cadres conceptuels

La presse reflète les débats qui divisent les clans rivalisant pour le pouvoir. Faut-il tourner entièrement la politique étrangère de la Russie vers l’Occident ou faut-il chercher une voie russe, avoir une politique dans le monde musulman et vers les pays asiatiques ? Les « atlanticistes » libéraux croisent le fer avec les partisans des doctrines « eurasistes » qui connaissent une vogue fulgurante. Pour ces derniers la Russie, tournant le dos au modèle occidental, a vocation à créer autour d’elle un bloc continental comprenant l’Allemagne, autre puissance continentale, l’Iran et la Chine, capable de défier la puissance « thalassocratique », les Etats-Unis. Les « eurasiens » insistent sur des considérations de puissance : « La Russie, à force de concentrer ses intérêts politiques en Occident, ne se préoccupe pas assez de renforcer ses positions dans le monde musulman ». Or en Occident elle ne sera jamais qu’un « parent pauvre ». Par ailleurs, fait-on remarquer, « l’orientation sur les valeurs occidentales n’implique pas forcément une orientation vers l’Occident. Le vecteur asiatique de la politique russe est d’une importance vitale pour la Russie, car n’importe quel succès à l’Ouest peut être réduit à néant par des échecs à l’Est s’ils se produisent. Nous devons faire un effort pour casser la tradition eurocentriste des diplomates et des hommes politiques moscovites ». Les « atlanticistes » s’appuient sur des considérations économiques. « L’orientation vers les capitales occidentales est aujourd’hui la seule possible » car la Russie doit chercher à s’intégrer dans le centre de l’économie mondiale.
Ce débat est une résurgence de la vieille querelle entre slavophiles et occidentalistes qui commença dans les années 1840, qui se poursuivait encore au début du XXe s et qui redémarra de plus belle dans l’émigration russe dans les années 1920-30. Les thèmes « eurasistes » sont puisés dans les écrits des émigrés qui sont redécouverts durant les années Eltsine et enrichis d’emprunts à la géopolitique du IIIe Reich.
Ces deux positions se reflètent aussi dans l’attitude vis-à-vis de la CEI. Les atlanticistes sont en faveur d’un retrait progressif de la Russie d’Asie centrale que Moscou ne peut plus subventionner et de relations de bon voisinage avec l’Ukraine et les pays baltes, débouchés de la Russie vers l’Europe. Les Eurasiens défendent l’hégémonie russe en Asie centrale et dans le Caucase. Certains font valoir que « la Russie est nécessaire à l’Occident en tant qu’Etat dominant de la CEI, en tant que facteur de stabilité face aux menaces venant d’Asie, comme le fondamentalisme islamique... Pour cela la Russie doit avoir une influence en Asie centrale, dans la Caucase et en dehors des frontières de l’ex-URSS. Une Russie influente sur le plan international intéressera davantage l’Occident qu’une Russie faible. Et une alliance véritable n’est possible que dans ce cas. »

La première phase de la diplomatie russe (1992-1993)

Il s’agit de la période « complexée » de la diplomatie russe à partir de 1992. Comme toujours en Russie l’élément personnel est déterminant. Avec son amour-propre ombrageux Eltsine veut prouver qu’il peut devenir le chouchou des Occidentaux comme Gorbatchev le fut (en septembre 1989 le voyage de Eltsine aux Etats-Unis a été un désastre). En dehors de ces aspirations les dirigeants russes sont incapables de définir des buts à leur politique étrangère. Nixon a un jour demandé à Kozyrev comment il voyait les intérêts de la nouvelle Russie. Kozyrev lui répondit : « Si vous avez des idées et si vous pouvez m’aider à formuler nos intérêts nationaux je vous en serai très reconnaissant ».
En janvier 1992 Eltsine déclare que l’Occident et la Russie sont des alliés. Eltsine est alors préoccupé par la catastrophique situation économique. Il s’imagine qu’une aide occidentale massive fournirait une panacée à tous ses maux. Les dirigeants russes ont alors une « croyance naïve dans l’altruisme des pays occidentaux ». Lors de son voyage aux Etats-Unis à l’été 1992 Eltsine, déjà en butte à l’opposition haineuse des « rouges-bruns » de la Douma, veut persuader les Américains que la Russie a complètement rompu avec son passé totalitaire. Il est convaincu que les Occidentaux se sentiront obligés de sauver la démocratie russe. Les US doivent prendre la tête du mouvement, les Européens suivront, dit Eltsine. Cette visite de Eltsine au Etats-Unis en juin 1992 marque l’apogée des relations russo-américaines.
Dès cette époque la nostalgie du temps du condominium soviéto-américain commence à poindre : « Le partenariat de Moscou avec Washington est le seul moyen pour la Russie de conserver son statut de grande puissance et même dans une certaine mesure de superpuissance ». Kozyrev ambitionne de construire un axe russo-américain, au point que les « bruns-rouges » lui reprochent de soumettre toutes les décisions de politique étrangère russe à « l’obkom de Washington ».
La ligne « eurasiatique » de la politique russe n’est pas abandonnée pour autant. Elle est menée par les députés de la Douma. En janvier 1992, le vice président Routskoï se rend en Iran afin de relancer la coopération dans le domaine militaire. Déjà les Etats-Unis s’inquiètent des risques de prolifération nucléaires émanant de Russie. En 1993 Kozyrev suggère la création de la commission Gore Tchernomyrdine pour institutionnaliser le partenariat russo/américain et le rendre plus acceptable à la Douma. Les Etats-Unis achètent l’uranium russe pour 12 milliards de dollars afin d’éviter que la Russie ne le vende à la Chine ou à l’Iran. Ils financent la recherche scientifique russe pour la même raison.
 Face aux Etats de la CEI, il n’y a pas grande différence entre « démocrates » et « patriotes ». En juin 1992, pendant le voyage de Eltsine aux Etats-Unis, Khazboulatov déclare que le Soviet Suprême envisage d’admettre l’Ossétie du Sud au sein de la fédération russe. De son côté Routskoï menace de bombarder la Géorgie et la Moldavie et se rend en Transnistrie. Même le doux A. Kozyrev affirme : "Nous défendrons les droits des Russes. C’est une priorité. Nous les défendrons bec et ongles. Nous emploierons la force si c’est nécessaire…. Le 21 juin 1992 Eltsine menace d’intervenir militairement pour la défense des russophones. Kozyrev met les points sur les i le 12 décembre 1993 : "Les Etats de la CEI et les Etats baltes constituent la zone où st concentrés les intérêts vitaux prioritaires de la Russie. Dans cette zone se concentrent aussi les principales menaces à ces intérêts... Nous ne devons pas quitter ces régions que la Russie a durant des siècles considérées comme des sphères d’intérêt". En 1992, la Russie signe avec les Etats de la CEI le traité de sécurité collective à Tachkent : elle espère ainsi les dissuader de créer leurs propres forces armées. Notons que sous Eltsine la Russie avait plus d’influence réelle sur les pays de la CEI que sous Poutine où le seul levier qui reste est l’arme énergétique. C’est Moscou qui met Chevardnadzé au pouvoir en Géorgie en 1992, Aliev en Azerbaïdjan en 1993, Koutchma en Ukraine en 1994.
L’affrontement avec la Douma et les « bruns-rouges » est alors au centre des préoccupations d’Eltsine. G. Ziouganov avait choisi de miser sur le nationalisme russe pour s’imposer à la tête du parti communiste de Russie. Dès l’automne 1992 Eltsine commence à emprunter le langage des "étatistes" (« derjavniki ») russes, abandonnant le discours démocratique des premiers jours. En octobre il déclare devant le collège du MID : « Dans notre politique étrangère il y a malheureusement beaucoup d’improvisation, d’inconsistance et de contradictions. Nous donnons l’impression que nous sommes une Russie faible, impuissante et pauvre... Nous nous comportons de façon trop timide, souvent nous sommes en position défensive et nous nous croyons obligés de copier les autres. La Russie est perçue en Occident comme un pays qui ne sait dire que oui, qui ne remarque pas que les autres ne remplissent pas leurs obligations à son égard, qui avale sans rien dire les offenses... ». Eltsine semble se rallier à l’idée d’une « voie russe » : "Nous ne menons nullement la Russie au capitalisme. La Russie est un pays unique. Elle ne sera ni socialiste, ni capitaliste, elle sera russe..."
Malgré ces concessions (ou peut-être à cause d’elles) le discours de l’opposition devient de plus en plus strident. En décembre 1992 un article publié dans Sovietskaïa Rossia accusant des démocrates de premier plan d’être des agents d’influence de l’étranger sème la panique dans le camp eltsinien. L’Occident est représenté comme un rapace qui n’a d’autre idée que de piller la Russie en s’appuyant sur une "bourgeoisie compradorienne" à ses ordres : thème promis à un riche avenir, qui entrera dans le discours officiel durant les années Poutine.
Cahin caha la politique caractérisée par un « pro-américanisme infantile » se maintient tant bien que mal jusqu’au printemps 1993. Toutefois force est de constater que cette ligne occidentaliste a été superficielle et a peu duré. Eltsine a toujours été ambivalent.

Le tournant « eurasiatique »

C’est en 1994, après la dissolution du Douma par la force et l’adoption d’une nouvelle constitution, que la Russie commence véritablement à se tourner vers la politique étrangère : auparavant la lutte pour le pouvoir absorbait toute l’énergie des élites du Kremlin. La Russie achève de retirer ses troupes d’Allemagne et se préoccupe de trouver un nouvel ancrage en Europe. L’acte fondateur des relations entre la Russie et l’Union européenne, l’Accord de partenariat et de coopération (APC) a été signé en juin 1994 à Corfou, pour une durée de dix ans, reconductible. Du côté européen le présupposé est que la Russie va s’européaniser, un peu comme une grande Pologne. En juillet 1994 la Russie est admise au G7, un peu en récompense de son adhésion au Partenariat pour la Paix proposé par l’OTAN, emporté de haute lutte par les eltsiniens.
Mais la guerre de Tchétchénie va éloigner la Russie des Occidentaux. Les pays d’Europe centrale et orientale, inquiets, frappent avec une insistance croissante à la porte de l’OTAN. Le rejet de l’élargissement de l’OTAN cristallisera en Russie le premier consensus en politique étrangère depuis la fin de l’URSS. Le conflit yougoslave portera à son paroxysme la surenchère nationaliste, surtout après les frappes aériennes de l’OTAN contre les Serbes près de Gorazde en avril 1994, et amènera le remplacement de Kozyrev par Primakov en janvier 1996.
Mais c’est dès 1994, encore sous Kozyrev, que s’amorce un tournant dans la politique étrangère russe. Moscou entreprend d’accélérer l’intégration de la CEI autour de trois axes, union économique, système de sécurité collective, "espace informationnel commun". Le 15 avril 1994 est annoncée la création d’une zone de libre échange englobant 12 pays de la CEI, mais dans l’immédiat le projet va s’enliser. Le 20 janvier 1995 est signée une union douanière entre Russie, Biélarus et Kazakhstan, le noyau de la future Union économique eurasienne proclamée par Poutine en 2000, à laquelle s’adjoindront le Tadjikistan et le Kirghistan. Enfin, détil significatif, la Russie reprend la construction de la centrale nucléaire iranienne de Bushehr (qu’elle lancera en août 2010).
En apparence la politique de Primakov se place dans le prolongement de la politique de "coopération" gorbatchévienne. N’oublions pas qu’à cette époque la Russie a plus besoin que jamais de l’aide financière occidentale. Primakov s’attachera à éviter une confrontation ouverte avec les Etats-Unis. Mais il s’ingéniera à prouver aux Etats-Unis que la capacité de nuisance de Moscou est encore intacte, et que par conséquent Washington a intérêt à opter de plein gré pour un partenariat avec la Russie en laissant à cette dernière la haute main sur les affaires européennes et dans l’espace ex-soviétique. La Russie est toutefois obligée de se résigner à l’élargissement de l’OTAN en 1997, sans obtenir de pouvoir de codécision ni de droit de veto dans les questions de sécurité européenne, en dépit des efforts opiniâtres de Primakov.
La diplomatie russe prendra sous la direction de Primakov une tournure néosoviétique de plus en plus marquée. Un nouvel accent est mis sur les relations avec les voisins de la Russie, avec les pays d’Europe centrale et orientale auparavant négligés par Moscou, avec le Moyen-Orient, l’Asie du Sud, et l’Extrême-Orient. Les axes eurasiatiques de l’action russe se dessinent clairement. Moscou s’efforce de consolider son emprise sur la CEI : le 2 avril 1997 elle signe un accord de réintégration avec la Biélorussie, le 29 août elle signe un traité d’amitié avec l’Arménie, qui prévoit une alliance militaire entre les deux pays, et donc des bases russes en Arménie. La conception de cette politique a été formulée en 1998 par A. Douguine, l’un des chantres de l’eurasisme : selon lui la Russie doit réaliser "un grand espace autarcique" en créant une union douanière eurasiatique englobant la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et la Kirghizie, où pourraient entrer la Serbie, la Grèce , l’Iran, l’Inde, l’Irak, la Syrie et la Lybie ; en contrôlant strictement les relations avec l’Occident et en instaurant un monopole d’Etat sur certains secteurs stratégiques de l’industrie ; en préférant les relations économiques avec l’Europe et la Chine à celles avec les Etats-Unis, en choisissant l’euro plutôt que le dollar en attendant de créer une monnaie eurasienne .
La Russie renoue ses liens traditionnels avec les Etats « voyous », comme l’Iran, l’Irak, la Libye, la Corée du Nord. Dans cette politique étrangère « multivectorielle » non exempte de duplicité, la Douma est bien commode : Jirinovski et Ziouganov assurent la liaison avec les radicaux serbes, Saddam Hussein et Kadhafi. Tout en maintenant les ponts avec Washington, Moscou fait tout pour encourager l’émergence d’une coalition mondiale anti-américaine et en prendre la tête. La Russie affiche démonstrativement qu’elle se soucie de moins en moins de la politique de non prolifération nucléaire au cœur des préoccupations de Washington. A partir de mars 1998 le nouveau ministre de l’Energie atomique, E. Adamov, entreprend de vendre à l’Iran un réacteur nucléaire expérimental et de l’aider à produire du graphite et de l’eau lourde, indispensables à la fabrication d’une bombe, en violation des accords Gore/Tchernomyrdine de 1995. De même, la Russie bloque les sanctions contre l’Inde et le Pakistan en 1998, alors que ces deux pays avaient procédé à des essais nucléaires. Et les Etats-Unis essaient en vain de convaincre Moscou de renforcer l’embargo contre l’Irak lorsque Saddam refuse les inspections de l’ONU.
Boris Eltsine se rend en Chine, du 24 au 26 avril 1996 (en mars la Chine avait lancé des missiles ballistiques à quelques kilomètres des grandes villes de Taïwan, provoquant une crise dans les relations avec les Etats-Unis), pour y lancer un « partenariat stratégique » entre les deux pays. De nombreux accords sont alors signés, concernant la mise en place d’un « téléphone rouge », des transferts de technologie nucléaire, l’exploitation des ressources énergétiques, la coopération militaro-industrielle et les échanges commerciaux. La volonté d’une action concertée en Asie centrale se traduit par la signature à Shanghaï, le 26 avril 1996, d’un traité de sécurité régionale liant aussi le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizstan ; les cinq formant ainsi le « Groupe de Shanghaï » dont l’objectif tacite est de tenir les Occidentaux à l’écart de l’Asie Centrale. En 1997 la Russie règle ses différents frontaliers avec la Chine ; les rectifications se font au profit de cette dernière, sans que les communo-patriotes russes, toujours prêts à accuser les pays de l’OTAN de vouloir dépecer la Russie, n’élèvent la moindre objection.
A l’automne 1997 Moscou forme la troïka Eltsine Kohl Chirac dans laquelle la Russie voit l’embryon d’un directoire européen à vocation anti-américaine. A cause des foucades du président Eltsine et de la prudence du chancelier Kohl cette initiative tournera court dans l’immédiat.
Le bombardement de la Yougoslavie, les révélations sur la corruption des élites russes, la nouvelle guerre de Tchétchénie lancée par Poutine font qu’à l’automne 1999 les relations avec les Occidentaux sont au plus bas. En novembre 1999, lors du sommet de l’OSCE à Istanbul, Eltsine s’en prend vivement aux critiques de la Russie, boude Chirac et Schröder et traite Clinton de « fils de pute » en claquant la porte. Selon un observateur russe, « ce fut l’un des seuls discours sincères d’Eltsine en diplomatie ». Eltsine peut vider son cœur : la succession est réglée, il se sent libre.
Ainsi la diplomatie russe avait posé des jalons importants à partir de 1994. A cause de l’imprévisibilité d’Eltsine, à cause des difficultés intérieures du pays, bien des initiatives se sont toutefois ensablées et n’ont débouché sur rien. Ce fut à Poutine de faire fructifier l’héritage si décrié d’Eltsine.

L’ère Poutine

La politique étrangère du nouveau président russe suit les mêmes lignes que celle de Primakov. Mais elle sera beaucoup plus efficace pour plusieurs raisons. La première tient au fait que Poutine a une vision plus simple de la position de la Russie dans le monde, qui découle de la Weltanschauung empreinte de darwinisme social des « nouveaux Russes » de sa génération : la Russie est un pays riche que les Etats étrangers rêvent de démembrer afin de pouvoir la piller à satiété. Elle est visée par un complot international dont les Etats-Unis représentant la force motrice. La démocratie libérale est l’instrument de cette entreprise de démantèlement de l’Etat russe. Par conséquent, renforcer l’Etat russe, c’est avant tout pour Poutine bloquer l’avancée de la démocratie libérale, à la fois à l’intérieur de la Russie et dans « l’étranger proche » (et moins proche). La vision de Poutine est authentiquement défensive. Mais elle n’en est pas moins expansionniste. En effet la moindre velléité d’européanisation manifestée par les voisins de la Russie est perçue par les poutiniens comme une menace existentielle à leur pays. D’où l’obsession de contrôler « l’étranger proche », en y empêchant le développement d’institutions démocratiques. Peu importe à Moscou que les satrapes installés en Biélorussie ou en Ukraine soient peu dociles : l’essentiel est qu’ils maintiennent un régime d’oligarchie corrompue manipulatrice proche de celui de Moscou, qui coupe ces pays de l’Europe en y pérennisant le sous-développement politique et économique. A l’exemple de la Belarus s’ajoute aujourd’hui celui de l’Ukraine de Ianoukovitch. Certes l’Ukraine était en crise chronique depuis 2004. Mais avec Ianoukovitch elle se « poutinise » à toute allure. La liberté de la presse s’étiole, les opposants sont victimes de répressions ; les PME sont absorbées dans de grands groupes oligarchiques mafieux. L’économie ukrainienne se dégrade, car à la corruption ukrainienne se superpose maintenant la corruption russe. Dans sa politique vis-à-vis de « l’étranger proche », Moscou encourage toutes les mesures qui mettent ces pays en conflit avec l’Union Européenne. Il suffit que Loukachenko tabasse son opposition pour que Poutine accorde immédiatement un crédit à la Belarus sanctionnée par l’UE, malgré la brouille entre les dirigeants russes et le dictateur de Minsk. Le cas de la Géorgie, le seul Etat post-soviétique ayant fait un effort spectaculaire pour éradiquer la corruption et se moderniser, est éloquent : ces succès ont été jugés insupportables à Moscou et Poutine n’a été empêché qu’in extremis d’occuper Tbilissi et d’assassiner le président géorgien. Incidemment cette politique impériale de Moscou est un révélateur de la manière dont le Kremlin perçoit ses relations avec l’Europe. Si vraiment la Russie voulait être européenne comme elle le prétend, elle ne verrait pas d’inconvénient à ce que sa périphérie se rapproche de l’UE et s’européanise. Sa volonté de traiter avec l’Union Européenne après s’être reconstituée en empire et après avoir repris le contrôle politique et économique de sa périphérie montre qu’elle veut être en position de force dans son dialogue avec Bruxelles.
L’exemple du bolchevisme prouve qu’une perception paranoïaque et fausse de la réalité n’est nullement incompatible avec une diplomatie efficace. Bien au contraire, elle favorise l’esprit de suite qui est indispensable à toute politique étrangère digne de ce nom. Dans le cas de Poutine cette vision paranoïaque est encore renforcée par un ressentiment haineux à l’égard des Occidentaux, des Américains surtout, auxquels Poutine n’a pas pardonné l’effondrement de l’URSS et la victoire dans la guerre froide. La politique étrangère de Poutine, contrairement à ce que croient les Occidentaux, n’est pas opportuniste ni déterminée par le goût du lucre. Elle est animée par une passion, la revanche. Ses succès sont avant tout imputables à cette volonté sous-jacente, dont les Occidentaux ont perdu jusqu’au souvenir. On peut comparer ces avancées diplomatiques à celles d’Hitler dans les années 1930, qui montrent déjà qu’un régime autoritaire inspiré par le ressentiment est redoutablement efficace face à des démocraties culpabilisées et en proie au doute.
La deuxième raison de la rapide ascension de la Russie poutinienne sur la scène internationale tient à la chance. Les nouveaux dirigeants russes vont bénéficier d’un extraordinaire concours de circonstances. D’abord les attentats du 11 septembre engagent les Etats-Unis sur la voie de l’autodestruction. A cela il faut ajouter la vertigineuse hausse des prix des hydrocarbures, qui va donner à Moscou les moyens de sa politique. Enfin, à partir de 2007, la crise économique qui frappe les Etats-Unis et l’Europe va offrir à la Russie des opportunités inespérées.
Le premier objectif de Poutine est la restauration de l’hégémonie de Moscou sur l’espace ex-soviétique, non seulement pour des considérations de puissance, mais parce que, comme on l’a vu, la Russie se sent existentiellement menacée par le voisinage avec des pays qui ne sont pas soumis à des régimes autoritaires et arbitraires. L’acte fondateur de la Communauté économique eurasiatique est signé le 10 octobre 2000. Ce groupement est complété en 2002 par l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC). Le traité inclut une clause de défense collective qui lie entre eux les signataires et prévoit un mécanisme de consultations mutuelles dans les questions de sécurité. Les participants s’engagent à ne pas adhérer à des alliances et à des groupes d’Etats hostiles à l’un des signataires.
Poutine est conscient que le succès de cette entreprise dépend de l’attitude des Etats-Unis. Il va rechercher une entente avec le président Bush dès le printemps 2000. Après les attentats du 11 septembre, quand Washington est amené à solliciter l’aide de Moscou, la Russie croit pouvoir retrouver son rôle de « codirigeant » de l’ordre international avec les Etats-Unis, objectif qu’elle poursuivait depuis la fin de l’URSS. Poutine s’imaginait avoir désormais les mains libres pour réintégrer « l’étranger proche ». Mais après les révolutions « de couleur » en Géorgie et en Ukraine, que Poutine croit montées de toutes pièces par Washington, le président russe ulcéré renoua avec la politique primakovienne, sans prendre les Etats-Unis de front, mais en cultivant les relations avec les Etats hostiles à Washington, tels l’Iran et le Venezuela. Poutine va essayer d’organiser une sorte de Sainte-Alliance avec d’autres Etats autoritaires pour empêcher l’apparition de nouvelles « révolutions de couleur ». L’Organisation de Coopération de Shanghaï prend ouvertement à partir de 2005 les allures d’une organisation anti-américaine.
La ligne « néo-eurasiatique » de la politique étrangère russe n’avait du reste jamais été abandonnée. Le Kremlin était en train de transformer la Chine en grande puissance militaire capable de défier les Etats-Unis, encourageant activement, y compris par la propagande, les factions anti-américaines au sein du groupe dirigeant chinois. Parallèlement Moscou relance l’axe Moscou Berlin en juin 2000. L’Allemagne, le seul pays européen qui compte vraiment aux yeux des Russes, décide de se lancer dans un partenariat énergétique avec la Russie. Il ne reste plus à Moscou qu’à mettre les Etats européens en concurrence pour les faveurs du Kremlin, jeu auquel la diplomatie soviétique excellait déjà.
Le « partenariat énergétique » avec l’Europe n’est pas seulement vu comme un projet économique mais aussi (et surtout) l’instrument de projection en Europe du pouvoir russe. On a vu comment Poutine a utilisé l’arme énergétique afin d’amener les Etats de « l’étranger proche » à abdiquer des pans toujours plus importants de leur indépendance. Du reste, il ne s’agit pas que de l’espace ex-soviétique. La réalisation du « partenariat énergétique » transforme l’Europe en « étranger proche » de la Russie. Le commerce avec la Russie permet de créer un puissant parti russe dans chaque Etat européen, de corrompre l’entourage proche des décideurs par des contrats juteux octroyés par le Kremlin. Ligotés à la Russie par le réseau toujours plus serré des gazoducs et des oléoducs, les pays européens ne se sentent déjà plus tout à fait libres de leurs mouvements sur la scène internationale. L’Allemagne a refusé de prendre part aux opérations contre Kaddafi par crainte de déplaire à Moscou.
Ainsi Poutine n’est pas seulement en train de réparer l’effondrement de l’URSS (qu’il considérait comme « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe s »), c’est-à-dire de reconstituer l’ensemble soviétique sous la forme de l’Union douanière eurasiatique, mais il est bien parti pour réussir ce que l’URSS avait voulu réaliser à partir de 1945 mais avait constamment échoué à mettre en œuvre : faire passer toute l’Europe sous l’influence russe. La détention de ressources énergétiques vitales pour les pays occidentaux permet à Moscou de se livrer beaucoup plus efficacement à son jeu coutumier, consistant à encourager le nationalisme chez les uns et les autres de manière à détruire ce qui reste de la solidarité transatlantique, puis de la solidarité entre Européens. Dans la logique de rapports de forces qui est la sienne, la Russie préfère les relations bilatérales avec chacun des Etats européens, car elle est alors en mesure d’obtenir ce qu’elle veut grâce aux lobbies puissants qu’elle a développés dans chaque capitale européenne. Le calcul de Moscou est de créer une situation de dépendance énergétique avec les grands pays d’Europe (l’Allemagne, l’Italie, la France pour le gaz), de créer un « politburo européen » regroupant ces pays, au sein duquel la Russie aurait une position dominante grâce au réseau de relations bilatérales construit sous les années Poutine : un peu comme le Pacte de Varsovie est venu couronner en 1955 les accords bilatéraux entre l’URSS et les démocraties populaires.
A partir de la crise des subprimes en 2007 apparaît une nouvelle perspective, grisante aux yeux des dirigeants russes : celle de l’effondrement américain. C’est en février 2007 que Poutine estime que la Russie est désormais assez puissante pour lancer une attaque frontale contre l’Amérique. Il pressent non seulement la chute des Etats-Unis mais la défaite de l’Occident tout entier. Tel est le sens de son discours programmatique à Munich en février 2007. A partir de l’été 2007 la Russie multiplie les démonstrations de force militaire. Elle reprend ses vols de bombardiers stratégiques, renouant avec une tradition héritée de la Guerre Froide et ne cesse de violer l’espace aérien des pays de l’OTAN. L’objectif est de souligner aux yeux de tous la faiblesse américaine : tel est aussi le sens profond de la guerre contre la Géorgie en août 2008, « un gant ouvertement jeté à la face du leader global du monde d’aujourd’hui », selon D. Rogozine. Il s’agissait de faire la démonstration à tous les alliés des Etats-Unis que la protection américaine était devenue une fiction. Cette politique coïncidait, et ce n’est pas un hasard, avec la proposition de "pacte de sécurité" paneuropéen, lancée par Medvedev le 5 juin 2008 lors d’un discours à Berlin. Dans l’esprit des dirigeants russes, ce pacte avait vocation à marginaliser toutes les structures existantes auxquelles la Russie n’est pas en mesure de dicter sa volonté, l’OTAN, l’UE, et l’OSCE, cette dernière étant depuis longtemps dans le collimateur russe car elle est accusée de « fourrer son nez morveux » dans les affaires russes, comme l’a dit élégamment Vladimir Poutine. La Russie veut se retrouver au cœur du dispositif de sécurité européen, face à des Etats dispersés et isolés, dépendant des approvisionnements énergétiques russes, sans le moindre contrepoids.
La période 2007-automne 2008, lorsque le Kremlin est en pleine euphorie, persuadé que la crise ne touchera que les pays occidentaux et transfèrera l’hégémonie mondiale aux pays émergents, est particulièrement éclairante. A ce moment la Russie met en sourdine ses déclarations d’appartenance à l’Europe. Elle se réclame ostensiblement du camp des gagnants, les émergents, surtout ceux dont le modèle est le capitalisme autoritaire dont la Chine atteste la réussite. A ce moment Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, expliquait que la Russie était à elle seule une civilisation, mais que, généreusement, elle ne demandait qu’à accueillir en son sein l’Europe occidentale une fois que celle-ci aurait tourné le dos au modèle anglo-saxon discrédité. Après tout, selon lui, les Européens partageaient avec la Russie un penchant pour l’économie administrée. Durant cette période de triomphe, la Russie se réjouissait ouvertement de la déconfiture des valeurs européennes et libérales.
La crise économique qui se fait sentir en Russie à partir d’octobre 2008 est un rude choc pour les dirigeants du Kremlin. Mais ils ont tôt fait d’en saisir les opportunités. D’abord elle précipite l’affaiblissement des Etats-Unis et leur désengagement de « l’étranger proche » de la Russie. Ensuite elle a laminé les élites pro-occidentales qui s’étaient constituées dans les pays de la CEI et au contraire renforcé les clans mafieux vivant de la prédation, qui sont d’orientation pro-russe. Et surtout, la crise est en train de détricoter l’Union Européenne et le lien transatlantique, en attisant le nationalisme et le protectionnisme, en accumulant les contentieux entre les nations européennes. Cette érosion accélérée de l’ordre de l’après-guerre ne peut qu’être profitable à la réalisation du grand dessein de Poutine.
Dans tous les domaines Moscou joue la politique du pire, bloquant les sanctions effectives contre l’Iran car la Russie a tout à gagner d’un conflit armé entre les Occidentaux et l’Iran : à commencer par la hausse du prix du pétrole et l’occasion de faire acheter sa neutralité par la possibilité d’occuper le Caucase du Sud sous couleur de « sécuriser » la région. La politique de « redémarrage » des relations russo-américaines proposée par le président Obama a été interprétée à Moscou comme l’indice de la prise de conscience par les Américains de leur faiblesse, et par conséquent comme une invitation à Moscou à pousser ses pions. A cela s’ajoute un facteur nouveau : la confrontation sino-américaine grandissante, qui incite chacun des protagonistes à rechercher l’alliance russe. Ceci explique l’équanimité apparente avec laquelle Washington avale les couleuvres russes. La Russie se trouve dans une situation comparable à celle de l’URSS à partir de mars 1939, lorsque son appui était recherché à la fois par les puissances occidentales et l’Allemagne. Et de même que Staline a préféré Hitler, par haine des Anglo-saxons avant tout, Poutine est porté vers la Chine, pour des raisons identiques, même s’il laisse planer l’incertitude, de manière à extorquer le maximum aux deux parties. Et plus la Russie donnera l’impression de pouvoir contrôler l’Europe, plus haut elle pourra faire monter les enchères. Les signes sont encourageants. Déjà Guido Westerwelle, le ministre des Affaires étrangères allemand, a clairement fait comprendre que la question cruciale était l’orientation stratégique vers les pays BRIC : à l’en croire, l’émergence de « nouveaux centres de pouvoir » devait inciter les Européens à « forger de nouveaux partenariats stratégiques ». Cette situation exceptionnellement favorable pour Moscou est à l’origine des évolutions récentes de la politique russe : l’abandon abrupt de la comédie Medvedev en septembre dernier, les démarches agressives de Moscou comme l’envoi du porte-avions Amiral Kouznetsov et d’armements en Syrie pour soutenir le régime d’Assad, la militarisation croissante de la politique russe. Les choix annoncés par les dirigeants du Kremlin au moment de la campagne électorale sont révélateurs de leurs priorités. Le salaire des officiers a été doublé, voire triplé en janvier 2012. Le budget de l’Instruction publique va être diminué de moitié (passant de 1,1% du PIB en 2009 à 0,5% en 2013) alors que le budget militaire va être augmenté de 60% d’ici 2013. Le contrat d’achat des bâtiments de guerre de classe Mistral et d’autres accords récents de coopération militaire avec les pays européens ont persuadé les dirigeants russes qu’ils peuvent se dispenser de faire les réformes internes indispensables à une modernisation en profondeur, et au fond, cesser d’investir dans la population russe puisque les étrangers leur fournissent les instruments de la puissance, ce qui, avec les dépenses somptuaires et les projets de prestige, est l’essentiel à leurs yeux.
Ce bref survol de la politique étrangère russe depuis la fin de l’URSS, dément la thèse en faveur parmi les experts occidentaux des deux côtés de l’Atlantique selon laquelle la Russie avait « durci » ses positions parce que les Occidentaux n’avaient pas ménagé ses susceptibilités et l’avaient « humiliée », selon l’expression favorite du président Chirac. En 1994-1995 on attribuait le nationalisme croissant de la politique russe aux bombardements des Serbes par l’OTAN ; à partir de 1997 on accuse l’élargissement de l’OTAN ; en 1999 la guerre du Kosovo. Tous ces raisonnements reposent sur le présupposé que l’évolution russe est déterminée par des facteurs externes, qu’elle est une réaction à des pressions venant de l’extérieur. Or ce schéma explicatif ne résiste pas à l’examen des faits, voire à une simple chronologie. En effet lorsque l’on se penche sur les années Eltsine, on s’aperçoit que le glissement de la politique russe vers le nationalisme néo-soviétique a commencé presque dès le début de la période Eltsine et est dû à la dynamique politique interne. Dès mars 1993 Eltsine exigeait que les organisations internationales, y compris l’ONU, reconnaissent à la Russie des « droits particuliers en tant que garante de la paix et de la stabilité sur le territoire de l’ex-URSS ».
De même pouvons-nous faire une croix sur le fameux « complexe d’encerclement » complaisamment attribué par nos diplomates à la Russie pour expliquer (et justifier) ses ingérences brutales dans « l’étranger proche ». C’est se méprendre complètement sur l’état d’esprit des dirigeants russes. Depuis 2007 ils ont l’impression d’être en situation de force quasi-incontestée, et l’OTAN est perçue par eux « non comme un bloc militaire mais comme un club politique amorphe et mou » qui étale sa faiblesse en Afghanistan.
En réalité l’agressivité de plus en plus manifeste de la politique russe à partir de 2007 résulte d’une analyse faite à Moscou de la « corrélation des forces », au terme de laquelle les dirigeants russes sont arrivés à la conclusion que les Etats-Unis étaient engagés dans un déclin irréversible et qu’il était désormais possible de les défier ouvertement. L’inflexion du comportement russe était plus liée à la hausse du prix des carburants qu’aux prétendues « humiliations » infligées à la Russie par l’administration Bush.
L’évolution de la politique étrangère russe ne résulte pas d’erreurs commises par les Occidentaux à tel ou tel moment. Le régime poutinien a besoin d’un ennemi extérieur pour justifier l’abolition des libertés et l’entretien ruineux de l’immense armée parasitaire des « siloviki ». Cet ennemi il le cherchera toujours à l’Ouest perçu comme faible. Il se gardera bien d’affronter un pays capable de lui donner sèchement la réplique, comme la Chine. Rien de ce que peuvent entreprendre les Occidentaux pour ne pas « humilier la Russie » ne changera cette réalité.