Les représentants régionaux de Al Qaïda n’ont pas beaucoup de succès. Pour l’ancien analyste de la CIA Brice Riedel, qui travaille aujourd’hui sur les questions de terrorisme à la Brookings Institution de Washington, il existe une exception : le Yémen.
Son appréciation est bien argumentée : les terroristes d’Al Qaïda dans la péninsule (AQAP) font preuve d’une grande confiance. En tant que première filiale d’Al Qaïda, ils ont essayé à Noël 2009 de perpétrer un attentat en dehors de leur propre région, quand ils ont voulu faire sauter un avion de ligne au-dessus de Detroit. Certes l’attentat a échoué mais il a donné un coup de fouet à la renommée du groupe parmi ses sympathisants.
La montée en puissance d’AQAP est une ironie de l’histoire. En 2003 déjà, Al Qaïda a créé une filiale en Arabie saoudite à laquelle étaient rattachées quelques cellules du Yémen voisin. Des objectifs en Arabie saoudite retenaient alors toute l’attention : des installations pétrolières ont été endommagées, des étrangers décapités, des otages faits prisonniers. Toutefois, en moins de deux ans, les forces de sécurités saoudiennes ont réussi à venir à bout des terroristes. Les survivants se sont réfugiés au Yémen pour s’y réorganiser. Ils trouvèrent refuge dans un pays pauvre dans lequel l’Etat ne peut exercer son contrôle au-delà de la capitale.
Trois objectifs
Ainsi le centre de gravité des activités des djihadistes dans la péninsule arabique s’est déporté vers le Yémen et leurs rangs ont été renforcés après la spectaculaire évasion de vingt-trois « soldats de Dieu » de la prison de Sanaa. C’est de ce groupe qu’est issu la direction actuelle de l’AQAP : Nasser al-Wuhaischi était l’émir, Kasim al-Raimi, le chef militaire.
Entretemps, l’AQAP a vu arriver un certain nombre d’anciens prisonniers de Guantanamo, plus un idéologue de la djihad, Awar al-Awlaki, né aux Etats-Unis, qui grâce à sa parfaite connaissance de l’anglais et son travail de propagande s’adresse à des recrues potentielles en Occident. Pas sans succès. Il y a seulement quelques semaines, l’AQAP a publié un texte d’un djihadiste venu des Etats-Unis, du nom de Samir Khan : « je suis heureux d’être un traitre à l’Amérique », écrit-il.
L’AQAP poursuit essentiellement trois objectifs :
- chasser les infidèles de la péninsule arabique, le vieux rêve d’Oussama Ben Laden, dont la famille est originaire du Yémen et qui a lui-même grandi en Arabie saoudite. C’est pourquoi l’AQAP s’en prend depuis des années aux touristes, aux coopérants étrangers et aux diplomates pou nà toute personne soupçonnée d’être un « missionnaire ».
- créer un Etat théocratique. Comme c’est impossible sous le présidence d’Ali Abdullah Salih, l’AQAP travaille à sa chute.
- attaquer les Etats-Unis sur leur propre sol. C’est un objectif récent dont l’attentat manqué de Noël 2009 n’était qu’un avant-goût.
Les Etats-Unis pour leur part ont renforcé leur présence au Yémen. Non seulement avec leurs services secrets mais aussi avec un développement de la coopération militaire. A plusieurs reprises, des missiles partis des porte-avions américains ont frappé des positions supposées de l’AQAP. Chaque fois ces tris ont été présentés comme des opérations de l’armée yéménite.
Un magazine en anglais
L’AQAP a une longue habitude de la propagande. Elle a été la première filiale d’Al Qaïda à publier un magazine sur internet (en 2004). Elle a un magazine en langue anglaise : Inspire, fait de manière très professionnelle. On y trouve des récits des anciens détenus de Guantanamo, des suggestions pour des attentats en Occident (une voiture fonçant dans une zone piétonne d’une grande ville occidentale, par exemple), des « recettes » en couleur pour fabriquer des bombes, « avec les produits issus de la cuisine de maman » et des conseils sur la manière de se comporter dans les camps d’entrainement.
Quelques centaines de militants formeraient les troupes de l’AQAP. Ce n’est pas beaucoup mais c’est assez pour permettre la formation de certains d’en eux ou la planification d’attentats et en même temps pour combattre les forces de sécurité yéménites. Les combattants se tiennent dans des camps plus ou moins mobiles dans les régions tribales, au sud et à l’est de la capitale Sanaa. Ils leur arrivent parfois d’obtenir par de l’argent ou du chantage la protection d’une tribu, voire d’autres avantages. Les forces de l’ordre ne s’aventurent pas très loin dans ces régions.