Empêtrée dans la négociation sur la dette grecque dont on ne voit pas la fin, l’Europe n’avait pas besoin qu’un autre de ses membres mette en cause sa participation à l’aventure communautaire. A la veille des élections générales au Royaume-Uni, une certaine confiance était de mise. Tout indiquait que le Premier ministre conservateur sortant David Cameron soit serait battu d’une courte tête par le travailliste Ed Miliband, partisan de l’Union européenne, soit serait obligé, faute de majorité, de composer avec un parti moins eurosceptique qu’une bonne partie des tories. La perspective du référendum promis par David Cameron avant la fin 2017 s’il gagnait un nouveau mandat, s’éloignait et avec elle la certitude d’une nouvelle empoignade néfaste pour la stabilité européenne.
Force est de constater que les résultats du scrutin du 7 mai annoncent des lendemains douloureux pour les responsables européens. David Cameron ne peut pas moins faire que d’organiser le référendum promis et peut-être plus tôt que l’échéance fixée afin de ne pas prolonger une incertitude dommageable pour les affaires. Les investisseurs industriels et financiers, britanniques et surtout étrangers, veulent savoir le plus tôt possible si Londres sera dedans ou dehors.
Le Premier ministre britannique veut une « rénovation » de l’Union, et à ce prix, il est prêt à mener campagne pour le maintien de son pays dans l’UE. Mais qu’entend-il par « rénovation » ? Le Royaume-Uni jouit déjà d’un statut particulier dans plusieurs domaines, budgétaires, policiers – il n’appartient pas à la zone Schengen –, sans parler de son refus d’adopter la monnaie commune. David Cameron veut « rapatrier » un certain nombre de pouvoirs qui ont été concédés à Bruxelles. Nombre de ses partenaires craignent que, sous couvert de promouvoir la « subsidiarité », il s’agisse en fait de détricoter les politiques communes et de transformer l’UE en une vaste zone de libre-échange. Les Britanniques en rêvent depuis des décennies, avant et après leur entrée dans la Communauté.
La grande majorité des autres membres de l’UE est favorable au maintien du Royaume-Uni. Pour des raisons diverses. Certains pays du nord, y compris l’Allemagne, voient en Londres le défenseur d’une forme de libéralisme économique sans cesse remis en cause par les pays du sud, supposés plus étatistes. La France, quant à elle, est partagée entre la méfiance atavique envers la « perfide Albion » et le soutien à la présence britannique qui lui évite un face-à-face quasi-exclusif avec Berlin.
La question est de savoir quelles sont les concessions que les partenaires de Londres sont prêts à consentir pour éviter la déliquescence de l’UE soit par perte de substance interne soit par la fuite d’un de ses membres qui donnerait le signal d’un sauve-qui-peut général. La chancelière allemande Angela Merkel est, semble-t-il, disposée à aller très loin dans le compromis pour permettre à David Cameron de gagner son référendum. Toutefois, elle a répété à maintes reprises qu’elle n’accepterait pas une remise en cause de la liberté de circulation au sein de l’UE. Or c’est précisément sur le thème de la lutte contre l’immigration et contre le « tourisme social » que David Cameron a fait campagne dans les derniers jours et sur ce thème qu’il a sans doute gagné les élections.
Alors que le problème de la Grèce est loin d’être réglé, qu’un « Grexit » de la zone euro voire de l’UE est toujours possible, voici que la menace d’un « Brexit » se profile à l’horizon. Menace réelle ou non, le sujet va accaparer l’attention, le temps et l’énergie des dirigeants européens au cours des prochains mois et peut-être des prochaines années. L’exact opposé d’une réflexion et d’une action sur la poursuite de l’intégration européenne, pourtant plus nécessaire que jamais. Qu’ils restent ou qu’ils partent, les eurosceptiques britanniques auront réussi à paralyser cette construction européenne qu’ils détestent depuis toujours.