La mise au pas du Hezbollah, prélude à une sortie de crise en Syrie ?

La mort du chef militaire du Hezbollah Moustapha Badreddine, dans la nuit du 12 au 13 mai, au cours d’un raid contre une base du régime près de Damas, est un coup dur pour le parti chiite libanais qui a déjà perdu mille cinq cents hommes depuis le début de son intervention dans la guerre civile syrienne. Soutenu par Bachar el-Assad et par l’Iran, le Hezbollah reste cependant un obstacle à un compromis entre les Etats-Unis et la Russie pour trouver une solution politique au conflit.

Affiche célébrant l’alliance entre Bachar el Assad et Hassan Nasrallah

La pression sur le Hezbollah, la milice chiite libanaise liée à l’Iran, s’accentue. Le Congrès des Etats-Unis avait adopté, le 16 décembre, le Hezbollah International Financing Prevention Act of 2015 qui étend les sanctions contre le parti chiite libanais classé comme groupe terroriste en 1995 par Washington. Le Bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC) du département du Trésor américain a publié, le 15 avril, ses premières modalités d’application, dont une liste de 99 noms de personnes physiques ou morales faisant l’objet de sanctions.
Le secrétaire adjoint au Trésor américain, Daniel Glaser, chargé de vérifier que les lois visant à renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent et les procédures de financement du terrorisme sont bien appliquées, doit se rendre à Beyrouth le 23 mai.
Ces diverses mesures ont été mal reçues par le parti chiite qui a prévenu par la bouche de l’un de ses dirigeants, membre par ailleurs du gouvernement libanais, que « les lignes rouges » ont été franchies, ajoutant que « les sanctions américaines ne passeront pas ».

Elimination militaire

Sur le plan militaire, l’élimination, dans la nuit du 12 au 13 mai dans la banlieue de Damas, de Moustapha Badreddine, chef militaire du Hezbollah en charge du soutien logistique au régime de Bachar el Assad, a porté un coup très dur au mouvement chiite libanais.
Accusé d’avoir contribué à organiser de nombreux attentats au Liban – dont celui qui a coûté la vie à 241 marines américains et 58 parachutistes français le 23 octobre 1983 à Beyrouth – Moustapha Badreddine est également mis en cause pour les attentats de Buenos Aires, le 17 mars 1992 contre l’ambassade d’Israël (29 morts et 242 blessés), et le 18 juillet 1994 contre le centre communautaire juif de la capitale argentine (84 tués et 230 blessés), ainsi que dans l’attentat qui a coûté la vie à l’ancien premier ministre libanais Rafik Hariri le 14 février 2005 à Beyrouth.
La disparition de Moustapha Badreddine fait écho à l’élimination, le 12 février 2008 à Damas, d’Imad Moghniyé, chef militaire du Hezbollah depuis les années 1990 et considéré comme le grand stratège de ce parti dont la force armée est estimée la plus performante et la mieux équipée – mis à part l’absence d’équipement aéronaval – des pays arabes qui s’opposent à Israël. L’élimination de Moghniyé a été une opération conjointe israélo-américaine, selon des informations publiées par le Washington Post le 30 janvier 2015.
En ce qui concerne l’opération militaire visant Badreddine, la presse israélienne, sur la foi d’informations des services secrets de l’Etat hébreu, affirme que c’est un tir de missile en provenance de la base aérienne américaine de Remelan, se trouvant au nord-est de la Syrie près de la ville kurde de Hassaké, qui a écrasé la base secrète du Hezbollah où se trouvait son chef militaire, à proximité de l’aéroport de Damas dans une zone tenue par le régime.
Les versions officielles sont différentes de deux côtés. Le porte-parole de la Maison-Blanche a, aussi surprenant que cela puisse être, affirmé qu’aucun avion militaire américain n’avait survolé cette zone. De son côté, la chaîne de TV libanaise Al-Mayadeen, proche du Hezbollah, qui avait tout d’abord affirmé qu’Israël était responsable, a vu son reportage supprimé dans ses éditions suivantes.
On peut enfin noter que durant les obsèques populaires du vendredi 13 mai dans la banlieue sud de Beyrouth, la foule des partisans du parti chiite scandait « mort à l’Amérique ». Il est vrai, que si le parti chiite avait imputé l’opération à Israël, il se serait engagé à pratiquer des représailles alors que l’essentiel de ses capacités militaires se trouve en Syrie. Officiellement, l’opération a été menée par des « takfiri » (rénégats), terme qui désigne généralement les mouvements djihadistes sunnites soutenus par la coalition des monarchies du Golfe et de la Turquie alliés des Occidentaux opposés à Bachar el-Assad, à son allié iranien et au Hezbollah.

Le Hezbollah contre un compromis

Dans le collimateur de l’alliance pro-occidentale, le Hezbollah gêne tout autant la Russie dont l’intervention en Syrie, depuis la fin de l’été dernier, a permis à Vladimir Poutine de se replacer dans le jeu moyen-oriental et de se mesurer à Washington après le bras de fer sur l’Ukraine.
A cet égard, l’agenda politique suivi par le Hezbollah, avec le soutien des radicaux iraniens et à leur tête le guide suprême Ali Khamenei, perturbe la possibilité d’un compromis que recherche Washington avec Moscou : sauver le soldat Assad pour assurer une transition en douceur, mais éviter une victoire militaire qui aliénerait l’alliance avec Ankara et Riyad. C’est pour cela que les Etats-Unis ont tenu à éviter que la Russie jette tout son poids militaire dans la bataille d’Alep qui aurait permis à Assad de se prévaloir d’un succès et d’éliminer ses opposants ou au moins de les affaiblir de manière significative.
Pour le Hezbollah, qui a sacrifié depuis quatre ans 1500 de ses combattants en Syrie, alors qu’il en a perdu « seulement » 1800 en 18 ans de conflit avec Israël, l’alliance avec Bachar el- Assad est stratégique. A contrario, la défaite du dictateur de Damas signifierait la fin de l’approvisionnement militaire du parti chiite libanais et la disparition quasi certaine de celui-ci de la scène politique.

La révolte des chiites irakiens

Sur un autre plan, ce n’est pas par hasard que les mouvements de protestation des chiites irakiens conduits par Moqtada el Sadr, qui avait auparavant rencontré le dirigeant du Hezbollah Hassan Nasrallah en présence de Moustapha Badreddine à Beyrouth le 13 avril, ont entraîné un vaste mouvement de radicalisation populaire contre le gouvernement du chiite Haïdar al Abadi à Bagdad. La « zone verte », où se trouvent toutes les institutions publiques (Parlement et ministères) et les ambassades a été investie début mai par des milliers de partisans de Sadr qui ont saccagé le Parlement, scandant des slogans hostiles à l’Iran (le gouvernement du modéré Hassan Rouhani) avant de se retirer.
Dans cette cruelle partie de poker où opposants et alliés des deux bords se livrent une bataille sans merci selon des intérêts et des agendas politiques divergents, le Hezbollah, avec la mort de Moustapha Badreddine, a perdu une manche. Mais les radicaux iraniens qui le soutiennent sont loin d’avoir perdu la guerre.