Les Républicains poussés à droite faute de centre

A trois mois des élections aux États-Unis, nous publions chaque semaine la chronique de Dick Howard, professeur de philosophie politique à la Stony Brook University dans l’Etat de New-York.
     

 

Le Congrès part en vacances le 1er août et les Jeux olympiques de Londres s’étalent sur les écrans de télévision mais la politique en cette année électorale est omniprésente ; les commentateurs s’efforcent de découvrir un message symbolique à chaque apparition d’un candidat. Le cheval de Madame Romney, qui est en compétition de dressage à Londres, est-il le symbole de ce que les Romney ne sont pas comme nous autres hommes et femmes ordinaires ? Ce serait une lecture de partisans d’Obama. Mais Mitt Romney est allé aux Jeux olympiques pour rappeler son sauvetage des jeux de Salt Lake City en 2002. Cette anecdote suggère que la politique et le symbolique fusionnent de plus en plus.

L’étape de Londres faisait partie d’un plus long voyage à l’étranger qui a amené le candidat aussi en Israël et en Pologne. Mitt Romney y a fait quelques déclarations controversées. Mais la presse américaine n’a pas particulièrement réagi puisqu’elle connaissait déjà les faiblesses de Mitt Romney en matière de politique étrangère. Avant même que le voyage n’ait lieu, un sondage NBC/Wall Street Journal montrait que 45% des citoyens trouvait que Barack Obama ferait le meilleur commandant en chef contre seulement 35% pour Romney. Pour ce qui est des connaissances et capacités à exercer le mandat présidentiel, c’est un score de 48 à 32 en faveur d’Obama. Alors, le voyage, et les gaffes, n’auront fait que confirmer les attentes. Le candidat n’a pas atteint son but puisque qu’il n’a pas montré qu’il possédait les qualités d’un homme d’État.

La réalité politique demeure même si les jeux tactiques des candidats l’occultent parfois.

 

Le cheval de Mme Romney et les falaises de Douvres

L’Angleterre, ce n’est pas Londres seulement, ce sont aussi les glorieuses falaises de Douvres : l’Amérique fera bientôt face à une falaise bien réelle, à partir du 1er janvier. Il s’agit de la crise qui résultera de l’expiration des réductions d’impôts du gouvernement Bush — ce qui équivaut de facto à une augmentation des impôts de quelques 3000 milliards de dollars. À cela s’ajoute la réduction des dépenses militaires et sociales de 1000 milliards de dollars, imposée par le compromis permettant l’élévation du plafond de la dette nationale. Ainsi, 4000 milliards de dollars vont disparaître d’une économie toujours mal remise de la crise de 2008. Or, les propositions de compromis — par exemple, conserver les réductions Bush pour ceux qui gagnent moins de 250,000, réduire les dépenses sociales, et éliminer des niches fiscales — sont refusées par un parti Républicain de plus en plus dominé par ses militants de droite et le Tea Party. Cette crise-à-venir devra être affrontée, après les élections, soit par un Congrès de canards boiteux soit par celui qui aura été élu en novembre.

La domination du parti Républicain par sa droite était évidente lors des primaires, mais la victoire de Mitt Romney, qui était considéré comme le candidat le plus centriste, aurait dû limiter son influence. On s’attendait à un recentrage de Romney une fois la nomination gagnée.

Ce sont normalement, en effet, les plus militants qui votent dans les primaires, les candidats des deux partis tendent donc aux extrêmes ; ensuite ils se recentrent pour s’assurer du soutien des modérés de leur camp et des « indépendants ». Or, comme le montre le récent livre de Geoffrey Kabaservice, Rule and Ruin. The Downfall of Moderation and the Destruction of the Republican Party, from Eisenhower to the Tea Party[1], l’aile dure du parti Républicain ne cesse pas de marquer des points contre les modérés, jugés trop prêts au compromis. Cette aile droite combine un engagement passionnel avec la certitude morale qu’elle est la voix de la « majorité silencieuse » du pays. Fidèle à ses principes contre vents et marées, elle assoit sa domination sur la ruine de la modération au sein de son parti (et, au delà, par la dénonciation des Démocrates comme des « anti-américains »).[2] Les mesures prises par le gouvernement Obama pour faire face à la crise économique semblent confirmer leur dénonciation de l’ « intention sécrète » du président qui serait d’imposer le « socialisme européen » au pays ! Ainsi, Mitt Romney ne peut pas se recentrer parce qu’il n’y a plus de centre aux États-Unis.

On dépasse ici la politique symbolique pour en venir à l’idéologie. Mais la politique qui se jouera d’ici le mois de novembre ne concerne pas seulement les luttes fratricides des Républicains.

 

La chute de la modération

 

Comme on le sait, les élections sont nationales mais le résultat dépend en dernière instance de douze Etats aux électorats flottants. En ce moment, Obama peut compter sur 231 votes électoraux, contre 191 pour Romney. Obama est le favori surtout des deux côtes du pays ; le centre et le sud se situent dans le camp Romney. C’est dans le nord-est du pays — Ohio, Michigan, Pennsylvanie et Wisconsin — et dans ce qu’on peut appeler le nord du Sud — la Virginie et la Caroline du nord — que la bataille se décidera… sans oublier la Floride, d’où venait le vote décisif pour George Bush en 2000 (si on exclue le « vote » vraiment décisif de la Cour suprême !). 

Devant ces enjeux stratégiques de novembre, les tactiques — réelles, pas symboliques ou idéologiques—qui seront appliquées se caractériseront par le saucissonnage de populations spécifiques. Par exemple, 22% de la population de la Floride est âgée de plus de 65 ans alors que les seniors ne sont que 16% de la population nationale. Évidemment, la sécurité sociale et la réforme de la santé intéressent particulièrement cet électorat. Mais attention ! Parmi les retraités floridiens, il y a beaucoup de juifs. Bien qu’ils ne soient que 4% de la population, leur poids pèse dans des Etats déterminants. Ils avaient voté à 80% pour Obama en 2008 ; ce qui aide à comprendre les prises de positions fortes de Mitt Romney cette semaine à Jérusalem. Pour les Latinos, on sait qu’ils n’ont donné que 30% de leurs voix à McCain en 2008 ; Romney doit trouver le moyen d’en attirer au moins 40%. Enfin, le plus gros poisson, c’est la classe ouvrière blanche qui avait préféré les Républicains par 15% ; si Romney en attire 25%, c’est du gâteau ! Ces quelques enjeux tactiques suffisent, je crois, à faire comprendre en partie le ton négatif de la campagne et le recours massif aux spots télévisuels.

 

 

[1] Dominer et ruiner. L’échec de la modération et la destruction du parti républicain : de Eisenhower au Tea Party : New York : Oxford University Press, 2012. Le livre, extrêmement détaillé et bien documenté aux sources primaires, est parfois d’une lecture difficile. Cela est dû en parti au choix de la maison d’édition de ne laisser guère de marges en haut et surtout en bas des pages, comme si le papier était rationné ! Toujours est-il que l’auteur a eu la très bonne inspiration de choisir comme titre de ses chapitres des vers du grand poème de William Butler Yeats, “The Second Coming”. 

[2] Ce ne sera sans doute pas une surprise d’apprendre qu’un sondage récent de la Fondation Pew notait qu’en 2008 un Américain sur six croyait qu’Obama était un musulman, mais qu’avec la domination de la droite aux élections de 2010, ce chiffre est maintenant de un Américain sur trois !