2020, une année difficile pour la France au Moyen-Orient

Le Moyen-Orient est demeuré en 2020 une zone dangereuse et une menace pour la sécurité de la France. La progression de la pandémie de Covid-19 et ses conséquences économiques et sociales auraient dû ralentir les violences, les gouvernements étant accaparés par les problèmes intérieurs : il n’en a rien été. En même temps, la crise sanitaire a freiné les relations internationales, limité les contacts personnels et contribué à l’effacement de l’Europe en général et de la France en particulier dans la région.

La planète et le Moyen-Orient
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La guerre en Libye a pris une nouvelle dimension avec les interventions accrues de puissances étrangères ; la menace terroriste reste entière avec une résurgence de l’Etat islamique tant en Syrie qu’en Irak ; après l’assassinat ciblé du général Soleimani, on a pu craindre un embrasement du Golfe, qui est une zone particulièrement inflammable ; le « miracle libanais » s’est écroulé avec la faillite d’un Etat incompétent et corrompu ; l’Irak demeure le champ clos de manifestations qui ont déstabilisé le gouvernement chiite et l’affrontement entre Washington et Téhéran perdure ; la crise entre le Qatar et une coalition menée par l’Arabie saoudite n’est toujours pas résolue ; si la normalisation entre Israël et certains pays arabes est en soi une évolution positive, elle s’est faite sans véritable contrepartie et sans progrès dans la solution du problème palestinien. Le Moyen-Orient a été également affecté par une relance des violences, qu’il s’agisse de la Turquie dans l’Est méditerranéen, de la Russie en Libye, d’Israël qui intervient militairement de façon récurrente sur des cibles iraniennes en Syrie, de l’utilisation de plus en plus fréquente de la pratique contestée des assassinats ciblés.

Les ambitions de la Turquie

Dans ce contexte difficile, la France n’est pas restée passive. Bien au contraire, elle a mené une politique très active avec un engagement personnel du président Macron. La préservation de l’accord nucléaire signé à Vienne le 15 juillet 2015, malgré le retrait américain, a toujours été une des priorités du président. L’invitation surprise du ministre des affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, au sommet du G7 de Biarritz en août 2019 en est une illustration. La création du mécanisme Instex, qui permet de contourner les sanctions extra territoriales des Etats-Unis, va dans le même sens. Cette politique se poursuit durant l’année 2020 à travers des contacts réguliers avec les parties à l’accord.
Face aux ambitions aventuristes de la Turquie, le président a organisé un sommet des pays du sud de l’Union européenne, réunis à Ajaccio le 10 septembre. Celui-ci a permis une mobilisation de nos partenaires européens qui, dans le communiqué final, réitèrent « notre plein soutien et notre entière solidarité avec Chypre et la Grèce face aux atteintes répétées à leur souveraineté et à leurs droits souverains ainsi qu’aux mesures agressives prises par la Turquie ». Il fait également avaliser les préoccupations françaises concernant la Syrie, le Liban, la Libye et le processus de paix. On rappellera également les deux déplacements spectaculaires du président Macron à Beyrouth en août et septembre après l’explosion meurtrière intervenue dans le port, les contacts pris avec toutes les forces politiques du Liban, y compris le Hezbollah. Il a souligné de façon très ferme à ses interlocuteurs, en préalable à un nouveau programme d’aide internationale, « l’exigence que la France porte depuis des années de réformes indispensables ».

La visite du président Sissi

L’année 2020 a confirmé la relation privilégiée qu’entretient la France avec l’Egypte dont la stabilité est un enjeu majeur, comme le confirme la visite d’Etat que le président Sissi a effectuée en France en décembre. Celle-ci a montré que, malgré les réactions anti-françaises qui se sont manifestées dans le monde musulman en novembre dernier, le dirigeant d’un pays arabe important ne renonçait pas à venir en France et à afficher ses bonnes relations avec son président. Malgré la dénonciation de l’accord de Vienne par Donald Trump et la mise en place de nouvelles sanctions, l’essentiel de l’accord a été préservé, les quelques entorses faites par l’Iran étant limitées et réversibles. Le président Biden peut, comme il l’a annoncé, revenir dans l’accord. Après plusieurs coups d’éclat, la Turquie se retrouve en position défensive et isolée, le président Macron ayant finalement réussi à convaincre ses partenaires de l’OTAN comme de l’Union européenne du caractère inacceptable du comportement d’Erdogan.
La menace de sanctions européennes s’est finalement concrétisée. La France a maintenu ou renforcé de bonnes relations aussi bien avec l’Irak que les Emirats du Golfe, notamment les Emirats arabes unis, dont l’homme fort, Mohammed Ben Zayed, entretient d’étroites relations personnelles avec le président français. Une « feuille de route » sur dix ans a ainsi été définie le 3 juin 2020 entre la France et les E.A.U.

Vers un éclatement de la Libye ?

Sur d’autres dossiers, la politique française n’a pas toujours eu les résultats que l’on aurait pu escompter. En Libye, le jeu se fait de plus en plus entre la Turquie, qui appuie le gouvernement Sarraj validé par les Nations unies, et la Russie, qui soutient le maréchal Haftar. L’attitude ambigüe des autorités françaises leur a été reprochée, même si officiellement, elles soutiennent les efforts faits pour apaiser le jeu, notamment en janvier 2020 lors de la conférence de Berlin. Un cessez-le-feu a été conclu en octobre mais il reste fragile. Le chemin reste long à parcourir pour aboutir à une véritable stabilisation. Ne risque-t-on pas d’aller vers un véritable éclatement de la Libye, la Tripolitaine étant sous protection de la Turquie, et la Cyrénaïque sous celle de la Russie ?
Une situation comparable existe en Syrie où la situation est gérée de plus en plus par une concertation entre la Russie, la Turquie et l’Iran, présents sur le terrain et non sans heurts. De fait le processus de réconciliation politique comme celui de reconstruction du pays sont au point mort. Au Liban, le président a affiché un volontarisme évident en se mobilisant personnellement en faveur d’une aide internationale à condition que les réformes essentielles soient mise en œuvre. Mais le processus de réforme n’est toujours pas enclenché.
Le président Macron n’a pu faire bouger les zaïms, les grands féodaux qui, avec la complicité du Hezbollah, entendent conserver leurs privilèges. Le retour de Saad Hariri, chargé de former le gouvernement alors qu’il est le symbole même de la corruption et de l’incompétence, augure mal de l’avenir de ce pays attachant. Enfin, s’agissant de la question palestinienne, dossier sur lequel la France a toujours été très active, elle a pris une attitude de retrait, compte tenu d’un contexte peu favorable. Elle a simplement annoncé qu’elle « étudiait » le « Deal du siècle » de Donald Trump, proposé par le président américain en début d’année, qui est en fait plus un plan d’annexion qu’un plan de paix. Elle semble se résigner à l’abandon de la création d’un Etat palestinien, qui apparaît de moins en moins réalisable.

Une image dégradée

D’une façon générale on a assisté durant l’année 2020 à la poursuite d’une dégradation de l’image de la France dans cette zone sensible. L’image d’une France menant une politique étrangère indépendante, ayant une position équilibrée et médiatrice, ouverte au monde musulman, qui était la sienne jusqu’à Jacques Chirac, s’est largement estompée. Les raisons en sont diverses : durcissement de sa politique d’immigration, problèmes des banlieues, complaisance supposée à l’égard d’Israël. Cependant l’évolution de la politique menée par les autorités françaises vis-à-vis de sa communauté musulmane est, à tort ou à raison, de plus en plus critiquée, y compris par des pays musulmans avec lesquels les relations sont traditionnellement bonnes, comme la Jordanie ou même le Maroc.
L’affaire du voile, récurrente depuis 1989, a été un des éléments qui ont contribué à cette dégradation. Mais les mesures récentes envisagées dans le cadre de la lutte contre le « séparatisme », devenu projet de loi « confortant les principes républicains », de même que la déclaration du président Macron le 21 octobre à la Sorbonne de ne pas renoncer aux caricatures, ont suscité des manifestations violentes et des menaces contre les intérêts de la France dans l’ensemble du monde musulman, au-delà même du Moyen-Orient. Pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, des drapeaux français et des portraits du président ont été brûlés du Maroc à l’Indonésie. Cette évolution interpelle, même s’il ne faut pas en surestimer la portée.

La diplomatie « disruptive » d’Emmanuel Macron

Comment expliquer tout à la fois cette dégradation d’image et ce déclin de l’influence de la France dans cette région avec laquelle nous entretenons des relations historiques ? Il est juste de constater que le président Macron a hérité d’une situation qui, après les quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, s’était déjà fortement dégradée. Il a été également confronté à un contexte international très difficile marqué par une politique américaine erratique et agressive, et une pandémie qui a exacerbé les intérêts nationaux avec de graves conséquences économiques et sociales.
Cette crise a freiné les relations internationales, fortement limité les contacts personnels indispensables en diplomatie et contribué à l’effacement international de l’Europe. Cependant, il ne faut pas négliger la personnalité même du président Macron, animé d’un fort volontarisme et adepte du parler « cash » et de la diplomatie « disruptive ». Si « l’Etat profond » a peut-être également sa part de responsabilité dans les résultats parfois décevants de cette politique, il n’empêche que la personnalité du président a pu, certes, jouer dans le sens de l’efficacité mais parfois a pu indisposer ses partenaires et avoir un impact dans une région où la qualité des relations personnelles joue un rôle important.
La perte d’influence de l’Europe en général et de la France en particulier au Moyen-Orient mérite réflexion et devrait conduire à réfléchir à ses causes et à reconsidérer les orientations de notre politique étrangère dans une zone d’importance majeure pour notre sécurité.