Un concours en 1943 pour le nouvel hymne national

Chostakovitch et Khatchatourian s’associent à la demande de Staline mais c’est la proposition d’Alexandrov qui est retenue

En 1943, Staline décide qu’un nouvel hymne national remplacera l’Internationale. Les paroles, explique Chostakovitch dans ses mémoires, ne convenaient plus. Elles étaient « idéologiquement inappropriées » puisqu’elles affirmaient qu’ « il n’est pas de sauveur suprême ni Dieu ni César ni tribun », alors que Staline était déjà à la fois Dieu et César. De plus, l’Internationale était « une composition française, étrangère donc ». Une compétition est organisée. Chostakovitch est l’un des nombreux candidats. « Il n’y avait pas le choix, assure le compositeur, il fallait participer au concours. Autrement, on te qualifiera de saboteur ! Espèce de canaille, tu cherches à te dérober à une mission de responsabilité ! ».
 
 Près de cinq cents compositions sont soumises au jury : l’oeuvre est d’abord interprétée a capela par le choeur de l’Armée rouge puis en version instrumentale par l’orchestre du Bolchoï, enfin en version pour chœur et orchestre. Cinq projets sont retenus pour la finale. L’audition a lieu en présence de Staline. Le premier projet est celui d’Alexandrov, le chef du chœur de l’Armée rouge, une adaptation du Chant du parti devenu Hymne du Parti bolchevique et jugé par Staline beau comme un navire de guerre. Les autres projets sont dus au compositeur géorgien Iona Touskia et aux deux grandes gloires de la musique soviétique, Dimitri Chostakovitch et Aram Khatchatourian. 

 Le dernier a été composé, à la demande de Staline, par ces deux compositeurs réunis. « C’était une idée des plus stupides, commente Chostakovitch dans ses mémoires. Nous sommes des compositeurs totalement différents, Khatchatourian et moi. Nos styles sont aussi différents que nos manières de travailler. Nos tempéraments aussi sont différents. Et puis à quoi ressemble un kolkhoze de compositeurs ? Mais il fallut pourtant obéir ». Les hommes finissent par s’entendre tant bien que mal. « La musique du couplet était de moi et celle du refrain de Khatchatourian, explique Chostakovitch qui est en outre, par tirage au sort, chargé de l’orchestration.

 L’œuvre plaît à Staline mais celui-ci suggère quelques corrections. Trois mois vous suffiront-ils ? demande-t-il à Chostakovitch, qui répond : Nous devrions y arriver en cinq heures. La réponse irrite Staline. Khatchatourian reprochera à Chostakovitch de leur avoir fait perdre le concours par sa désinvolture. Finalement Staline choisit l’hymne d’Alexandrov, tout en critiquant son orchestration. Alexandrov lui donne raison en précisant que l’orchestration n’est pas de lui et en mettant en cause son auteur, Knouchevitski, ce qui suscite une protestation de Chostakovitch. Une nouvelle orchestration sera confiée plus tard à Rogal-Levitzki.

 Les paroles de l’hymne sont écrites par le poète Sergueï Mikhalkov (1913-2009), écrivain officiel connu alors pour ses poèmes et son théâtre pour enfants, qui deviendra en 1965 le premier secrétaire de l’organisation des écrivains de Moscou puis en 1970 le président de l’Union des écrivains de Russie. Il est le père des cinéastes Nikita Mikhalkov et Andreï Kontchalovsky. A partir de 1955, pour cause de déstalinisation, l’hymne sera joué sans paroles. Les passages rendant hommage à Staline seront expurgés de la nouvelle version rédigée en 1977 par le même Sergueï Mikhalkov. Les références à Lénine seront supprimées en 2000.