Comment démocratiser la troïka ?

Pour renforcer la légitimité démocratique de la troïka, cette équipe d’experts chargée de superviser les aides financières de l’UE aux pays qui en bénéficient, Alexis Tsipras propose que le Parlement européen y soit associé, auprès de la Commission, de la BCE et du FMI. Cette idée avait déjà été évoquée par Jean-Claude Juncker, président de la Commission. Elle s’inscrit dans la volonté de revaloriser le rôle du Parlement européen pour assurer un meilleur contrôle et une plus grande transparence.

Alexis Tsipras et Martin Schulz
Parlement européen

Depuis l’échec du projet de Constitution européenne et la montée de l’euroscepticisme dans de nombreux pays d’Europe, la démocratisation des institutions européennes est au cœur de la réflexion d’une partie des dirigeants de l’UE. L’une de leurs cibles est la « troïka » européenne, ce groupe de hauts fonctionnaires mandatés par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international pour superviser les plans d’aide financière dont bénéficient plusieurs Etats de l’UE.
Comme son action s’accompagne de sévères mesures d’austérité dans les pays concernés, cette délégation d’experts, dont le nom est emprunté aux attelages russes de trois chevaux, est devenue particulièrement impopulaire partout où elle est présente. C’est notamment le cas en Grèce, où elle est critiquée à la fois pour son dogmatisme rigide et pour son absence de représentativité démocratique, ses membres n’étant pas des élus du peuple alors même qu’ils disposent d’un pouvoir considérable pour dicter la politique des Etats dans lesquels elle intervient.

Comment donner plus de légitimité démocratique à cet aréopage de technocrates tout-puissants qui se comportent, selon ses détracteurs, comme s’il était en pays conquis et donnent de l’Union européenne une image négative ? Alexis Tsipras, premier ministre grec démissionnaire, vient de suggérer que le Parlement européen soit associé à ce groupe pour faire entendre la voix des élus européens. Dans une lettre adressée au président du Parlement européen, Martin Schulz, le dirigeant grec, qui refuse jusqu’au nom, devenu tabou, de « troïka » et préfère, dans les négociations avec les créanciers de la Grèce, parler des « institutions », n’apporte pas de précisions sur la manière dont, selon lui, les eurodéputés pourraient jouer un rôle au sein du groupe mais il demande une « implication pleine et directe » du Parlement. « La troïka, c’est fini », avait-il déclaré il y a quelques mois en engageant des pourparlers avec les créanciers de la Grèce. Si ceux-ci en sont d’accord, la nouvelle troïka, qui comprend déjà une quatrième institution, le Mécanisme européen de stabilité, pourrait inclure un cinquième acteur, le Parlement européen, sous une forme qui reste à définir.

Un problème de légitimité démocratique

Les critiques adressées à la troïka ne sont pas nouvelles. Un an avant l’arrivée au pouvoir d’Alexis Tsipras, l’ancien chef de la diplomatie grecque, Evangelos Venizelos , affirmait : « Se substituer à la classe politique et aux partenaires sociaux n’est pas à la portée des fonctionnaires, fussent-ils internationaux. C’est un problème de légitimité ». En 2014, le Parlement européen adoptait une résolution sur les missions de la troïka qui dénonçait l’opacité de son fonctionnement et notait que son mandat était perçu comme « dépourvu de transparence et de contrôle démocratique ».
Selon l’un des rapporteurs de la résolution, le socialiste français Liêm Hoang-Ngoc,« le rôle et l’activité de la troïka souffrent d’un problème de légitimité démocratique dès lors que les Mémorandums of Understanding imposés aux gouvernements et aux Parlements nationaux en contrepartie des aides financières n’ont fait l’objet d’aucune délibération démocratique au niveau européen ». Toutefois le Parlement européen, dans ses conclusions, ne proposait pas d’être associé à la troïka rénovée. Il se prononçait seulement pour une meilleure information des eurodéputés et pour une « réévaluation du processus décisionnel de l’Eurogroupe » afin d’instaurer « une responsabilité démocratique » aux niveaux national et européen.

Pour sa part, Jean-Claude Juncker est allé plus loin dans sa volonté de changement. Au cours de sa campagne pour la présidence de la Commission européenne, il a en effet exprimé le souhaite que la troïka soit remplacée par une structure « plus légitime démocratiquement » et « plus comptable de ses actes », avec « un contrôle parlementaire renforcé tant au niveau européen que national ». Les principes énoncés par le président de la Commission européenne rejoignent donc la proposition d’Alexis Tsipras, même si les modalités précises d’une réforme de la troïka sont encore à définir.
D’une manière générale, le renforcement du rôle du Parlement européen et des Parlements nationaux dans la gestion de l’Union économique et monétaire est une des priorités affichées par les dirigeants de l’UE. Dans le rapport dit des cinq présidents, présenté en juin 2015 par Jean-Claude Juncker et les présidents de l’Union européenne, de l’Eurogroupe, de la BCE et du Parlement européen, l’accent est mis sur la recherche d’une « plus grande responsabilité démocratique », d’une « plus grande légitimité », d’une « plus grande transparence » qui supposent un « rôle essentiel » des assemblées parlementaires. Une éventuelle réforme de la troïka, même si elle n’est pas explicitement évoquée dans le document des cinq présidents, serait conforme à cette logique.