Qui a peur de Syriza ?

Des élections législatives anticipées doivent avoir lieu le 25 janvier en Grèce, parce que les députés appelés à choisir un nouveau président n’ont pu trouver de majorité qualifiée nécessaire pour élire un successeur à Karol Papoulias dont le mandat arrivait à expiration au début de 2015. Tous les sondages donnent le parti de la gauche radicale Syriza en tête devant la Nouvelle démocratie (centre droit) du Premier ministre Antonis Samaras.

Une manifestation de partisans de Syriza
Michalis Famelis , par Wikimedia Commons

Les Grecs sont nombreux à être mécontents de l’action menée par le gouvernement de coalition Nouvelle démocratie – PASOK (socialiste), qui a peut-être eu quelques succès sur le plan monétaire et financier mais a continué à imposer au pays une cure d’austérité telle que même certains organismes internationaux commencent à mettre en doute son bien-fondé.
La politique de la « troïka » (Commission de Bruxelles, Banque centrale européenne, Fond monétaire international) que le chef du gouvernement grec a mise en œuvre laisse aujourd’hui le pays dans une situation économique catastrophique, avec un taux de chômage dépassant le quart de la population active, un système de santé exsangue, des retraités misérables et une déstructuration sociale favorable aux violences de l’extrême-droite. Quant à la corruption, on ne sache pas que ces conditions l’aient en rien affectée.

Une coalition hétéroclite

Les sondages actuels en prévision des élections législatives donnent une certaine avance (trois à six points) à Syriza, un parti appartenant à la gauche radicale européenne, dont les revendications sont opposées à la politique actuelle. Le programme de Syriza est difficile à résumer clairement parce que ce parti, loin d’être monolithique, est en fait une coalition de plusieurs petites formations, dont les positions sont très différentes. Son nom même proclame cette origine plurielle, puisqu’il signifie « Coalition de la gauche radicale », et qu’une de ses racines principale est elle-même une coalition : « le parti » Synaspismos, fondé par des dissidents du Parti communiste de l’intérieur (eurocommuniste, opposé au dogmatisme de Moscou dans les années 1970) ou même du Pasok, avec notamment la figure emblématique de Manolis Glézos, celui-là même qui en 1941, à dix-neuf ans, grimpa sur l’acropole pour en arracher le drapeau nazi.
Pour les élections législatives de 2004, d’autres partis de gauche, communistes et écologiques, rejoignirent la coalition et aux élections suivantes, en 2007, elle remporta un succès inattendu en obtenant 14 sièges au Parlement. Succès confirmé aux élections anticipées de mai 2012, où Syriza obtient 52 sièges, mais se transforme officiellement en parti politique (non plus coalition) pour pouvoir bénéficier de l’avantage de 50 députés supplémentaires alloué au parti arrivé en tête.
Désormais deuxième parti au parlement grec, Syriza s’est vu confier, en 2012, par le président de la République la mission de former une coalition de gouvernement, mais son leader Alexis Tsipras ne réussit pas dans cette première tentative.

Un programme ambigu

Depuis Syriza a continué à progresser. Lors du deuxième scrutin de 2012, quelques semaines après que tous les candidats au poste de premier ministre eurent échoué à former un gouvernement, la gauche radicale a gagné une vingtaine de sièges pour atteindre un total de 71 députés. L’année suivante cependant, un des groupes de l’alliance a fait sécession après avoir échoué à imposer la sortie de la zone euro et le refus de payer la dette dans le programme de Syriza.
Celui-ci n’en demeure pas moins ambigu, pour des raisons à la fois idéologiques et tactiques. Pour le Monde, ses propositions de Syriza peuvent se résumer comme suit :
1. un moratoire sur les dettes privées aux banques ;
2. la hausse du salaire minimal ;
3. l’annulation de près des deux tiers de la dette publique ;
4. l’instauration d’une « clause de développement » ;
5. la recapitalisation des banques, sans que les sommes en question soient comptabilisées dans la dette du pays.

Ce programme a-t-il de quoi effrayer les partenaires de la Grèce ?
Les marchés financiers d’abord, les vraies cibles de Syriza sans doute, et c’est pourquoi la Bourse d’Athènes a chuté tout de suite après l’annonce des élections anticipées, mais aussi, et c’est plus significatif, les membres de la « troïka », responsables au premier chef de la politique d’austérité.
Il y a plusieurs semaines déjà, Jean-Claude Junker s’était permis des remarques sur l’élection présidentielle, volant à l’aide du candidat de la droite. Il a été suivi par Pierre Moscovici qui n’a pas hésité à soutenir, contre les forces émergentes à gauche, les partis dits « favorables à la croissance », sous-entendu la coalition actuellement au pouvoir à Athènes. La chancelière allemande Angela Merkel a, quant à elle, répété haut et fort ses leçons de morale économique.

Un échec de la politique européenne

La Grèce est la preuve de l’échec des politiques économiques « européennes », sinon de l’échec de l’Europe. Si l’aide européenne fonctionne en faveur du secteur financier sans effets sur les structures économiques et sociales, il est à craindre que la corruption et le clientélisme qui caractérisent les partis traditionnels ne continuent à apparaître comme un adoucissement aux maux dont souffre le plus grand nombre.
Cet échec sera-t-il sanctionné par un vote en faveur des opposants les plus déterminés à cette politique ? Dans la mesure où ces opposants veulent non pas la sortie de l’euro, la fin de l’Europe, mais simplement « une autre Europe », une Europe solidaire et sociale, leur succès transformerait le paysage politique européen.
Ce succès n’est pas assuré parce que les électeurs grecs sont inquiets. Ils rejettent un système qui les a conduits dans la situation catastrophique où ils se trouvent et en même temps ils ont peur de perdre ce qui leur reste. Ils ont peur de l’inconnu représenté par cette gauche qui n’a jamais exercé le pouvoir.